Oui, cet article parle du verbe voir en italien. Vedere. Conjugué, on va voir : Vediamo! « Mais ça va pas être un peu chiant ? » En même temps, on est sur un blog qui s’appelle l’occhio di Lucie, et l’occhio, c’est l’œil… donc de l’œil au verbe voir, la distance est brève.
Comme chaque mois, les #HistoiresExpatriées reviennent dans une chronique sur la vie à l’étranger. Ce mois-ci, Patrick, du blog FromSlo nous propose de parler d’un mot ou d’une expression de notre pays.
J’ai choisi le verbe voir, conjugué à la première personne pluriel du présent. Parce que ce petit mot en apparence anodin et inoffensif renferme en réalité beaucoup sur ma perception de l’Italie.
Vediamo!
Du radical vedere, je garde la racine, ved, et j’ajoute la désinence -iamo : vediamo. « Nous voyons » serait la traduction la plus évidente. Mais il a plutôt tendance à signifier « on verra ».
C’est peut être l’une des premières choses à apprendre en italien, tant ce simple mot ponctue les conversations.
» – Tu fais quoi ce weekend ? On va voir une expo ?
– Je sais pas trop, peut être que j’ai déjà un truc, mais on n’a pas fixé d’heure, pourquoi pas, vediamo! »
» – Comment s’est passé ton examen ?
– Mmh, le prof m’a posé des questions difficiles mais j’ai un bon feeling… vediamo! »
Vediamo exprime l’incertitude. Lancer ce petit mot dans l’air, pour conclure une phrase, c’est s’en remettre au destin.
Vediamo nous dit qu’on ne sait pas bien de quel côté penchera la barque et qu’il vaut mieux se laisser porter par les flots.
C’est une façon de repousser la prise de décision, de ne pas donner d’avis définitif, de reconnaître la fatalité du sort.
Pour souligner encore le sens de l’expression, on peut la précéder d’une onomatopée toute italienne : « boh! », généralement accompagnée d’un léger haussement d’épaules, bras écartés.
Dire « Boh, vediamo ! » c’est comme dire « J’en sais rien et je ne peux rien y faire, mais ça me va ! »
Ci vediamo!
Point prononciation : tchi vé-di-a-mo. Littéralement : on se voit. En français, tel quel, ça ne veut rien dire. En italien, l’expression signifie « on se voit bientôt », ou « à bientôt » tout court.
Cette expression a aussi un pouvoir magique : elle annule d’elle même la promesse qu’elle contient. Soyez-en sûr, quand quelqu’un vous salue, souriant et énergique, en vous gratifiant d’un « ci vediamo » accompagné d’une tape sur l’épaule ou d’un geste de la main, vos chances de revoir cette personne dans les six mois à venir passent sous la barre des 20%.
Si la personne ajoute « ci sentiamo » (« on se sent » = « on s’appelle »), c’est encore plus grave. Dites adieu à votre relation, qu’elle soit professionnelle ou amicale. A moins de pratiquer le harcèlement moral sur Whatsapp, Messenger et via pigeon voyageur, vous ne la reverrez pas de si tôt.
La charge d’incertitude contenue dans l’expression « ci vediamo » est en réalité deux fois plus forte que le « vediamo » simple. Parce qu’aux vicissitudes du destin de l’un, s’ajoutent celles de son interlocuteur. La suite ne dépend plus des aléas du destin d’une personne, mais de deux. Autrement dit, on nage dans les abysses de l’improbable.
L’Italie ou le pays de la patience
Ma première approche du terme « vediamo » a été déconcertante. La première fois que quelqu’un l’a jeté, là, au milieu de la conversation, je n’ai pas compris. Vediamo : oui mais quoi ? Plutôt que de voir, je voulais prévoir. Ci vediamo, oui mais quand ?
L’Italie a pris ma passion pour les rendez-vous, les agendas et la planification. Elle l’a roulée en boule. Et elle a joué au foot avec.
Je ne comprenais pas. A l’université, à l’heure de passer les examens oraux, je devenais folle en constatant que la convocation ne comportait pas d’heure.
» – C’est quand, l’examen de littérature italienne ?
– Le 12.
– Je passe à quelle heure ?
– Boh, vediamo ! »
Donc, le jour dit, tous les étudiants sont là, dans le couloir, et attendent. Il n’y a pas d’heure de passage, juste un ordre. Donc tu fais tes pronostics avant de décider si tu te barres boire un café ou si t’as le temps d’avaler un service trois plats au déjeuner. A toi de voir…
Je pourrais multiplier les exemples. Venise, je veux m’inscrire à l’escalade. On me demande de fournir mes coordonnées, je le fais, puis demande quand commencent les cours. « Vediamo, ça dépend des inscrits », me répond-on. Quatre mois plus tard, je reçois un email m’annonçant l’éventuel début des cours dans un mois, pour une durée de six semaines. Tout ce suspens pour 6 maudits cours ? Oui. D’ailleurs, j’attends encore la réponse à mon mail où je confirme mon intérêt pour la pratique de l’escalade. Le cours commencera-t-il un jour ? Vediamo!
Le pouvoir du « vediamo » a transformé mon envie de faire de l’escalade en une possibilité contingente hautement incertaine.
Les bons côtés du vediamo
Après une phase d’adaptation, par laquelle je repasse régulièrement quand « vediamo » surgit là où je ne l’attend pas, j’ai appris à faire de cette indolence une amie.
Certes, ici, beaucoup de choses s’organisent au dernier moment ou au petit bonheur. Mais quand je veux voir mes amis, il est rare qu’ils ouvrent leur agenda pour m’annoncer avoir un trou dans deux semaines, de 10 à 12. Tout est un peu plus souple et donc tout le monde se sent un peu plus libre. Souvent, les rendez-vous sont imprécis, les choses se font « con calma » (avec calme, tout un programme encore), mais se font quand même.
J’ai appris à arrondir les angles et à noyer mon amour pour les certitudes dans le plaisir de la souplesse. Vediamo a le pouvoir de transformer les choses à faire en choses qui se font. La différence est subtile et difficile à expliquer. Pour qu’elle soit plus claire, pensez à la différence entre voir et prévoir, et vous aurez le concept.
Pour conclure, je dirais que vediamo a le goût versatile d’une agaçante passivité comme celui, plus léger, de la douceur de vivre.
« Pour mon amoureux, vediamo, ça veut toujours dire non, c’est sûr ! » déclare au moment où j’écris ces lignes une amie qui me demande de quoi parle mon article. « Une façon polie de dire non, mais bon, je comprends que ça n’arrivera pas ! »
Moi, je vous dit à bientôt pour un prochain article qui sortira… boh, vediamo, bientôt !
Molto interessante! Grazie per queste esplorazioni, scoperte sulla lingua italiana.
J’aime beaucoup votre blog Comme je me débrouille en italien, j’ai décidé, dorénavant de commenter in italiano
Encore une fois, comme je me reconnais dans ces lignes ! L’Italie et Naples en particulier ont transformé mon rapport au temps et à l’inverse, quand je dois planifier un rendez-vous pro en France et qu’on me cale un rdv dans deux mois sur un créneau d’une demi-heure chrono, ça m’horripile ! En Italie, mes interlocuteurs trouvaient toujours une petite heure pour moi dans les un ou deux jours qui suivaient ma demande (j’allais les interroger pour ma thèse) et ni eux, ni moi, ne nous mettions pour autant irrémédiablement en retard dans notre travail pour le reste du mois !! ça fait réfléchir …
Je vois vraiment cette philosophie du « vediamo » comme quelque chose de très positif !
Mais dis donc, tu me parles de l’Italie ou de Mada là ??? :p
Intéressant cette façon détournée de dire les choses !
(Un article sur le Lido ? Vediamo ^^ » je retrouve mes racines italiennes ^^).
Des bisous
Ahahah et si c’était un rapport au temps bien plus répandu qu’on ne le pense ?
Tu m’as fait sourire avec ton billet… Pour une obsédée du contrôle comme moi, je vois une infinité de choses qui ne se feront jamais. Et cela n’a pas manqué de me rappeler ma grand-mère (pas du tout italienne) qui pour dire « non », dit toujours « on verra ». C’est peut-être pour que quand j’entends « on verra », je ne le vois pas comme une porte ouverte mais comme une impasse.
Tu n’es pas la seule à l’associer à une réponse négative, c’est intéressant. Peut-être parce que certaines personnes l’utilisent de cette façon
En Argentine « vediamo » c’est « vamos viendo ». il s’applique de la même manière, et t’apprend aussi à lâcher prise sur les plannings… d’ailleurs ce doit être son petit frère, les portègnes ayant majoritairement des origines italiennes! viens à Buenos Aires, tu ne seras pas dépaysée!
J’aime beaucoup aussi cette expression ! Ça n’est pas impossible qu’il y ait parenté
Ce « boh vediamo » a le don de me mettre en colère, parce que mon copain, tout français de naissance et de langue maternelle qu’il est, a rapidement adopté cette expression qu’il me fournit DES que j’essaie de prévoir quelque chose. Ca me rend folle! Même si je m’aperçois que j’ai de plus en plus tendance à avoir envie de l’utiliser dans certaines situations. C’est vrai qu’on n’a pas vraiment d’équivalent en France, même le « on verra » ne retransmet pas correctement là nonchalance de l’expression.
J’ai encore des efforts à faire pour en apprécier toute la saveur mais ton article aide à comprendre certaines choses; Merci!
Je comprends, ça peut être très agaçant quand on est habitué à s’organiser de façon précise ! Mais il y a un côté lâcher prise agréable derrière
Avec le recul, c’est vrai que c’est un mot très usité en italien. Je me souviens que ma correspondante me le disait souvent.
Merci pour ce petit flashback fort sympathique. A presto ! 😉
Merci à toi pour ce mot gentil ! A presto
Bonjour,
Merci pour ce blog formidable qui regorge d’informations. Malheureusement, j’aurais voulu entrer en contact avec vous afin de vous poser une question plus détaillée mais le lien du formulaire de contact ne fonctionne pas. Y a-t-il peut-être une adresse mail où il est possible de vous joindre?
Merci!
Bonjour, j’ai eu des soucis avec le formulaire malheureusement ! Je vous ai écrit un mail.