On commence 2020 avec le lancement d’une nouvelle rubrique sur le blog : les carnets parallèles.
Depuis que je suis freelance, je pars de plus en plus en voyage pour le travail, toute seule avec mon carnet. Je prends beauuucoup de notes, visite des tonnes de musées, de châteaux, d’églises, voire de mosquées. Je monte à bord de ferry, bateaux, vaporetti, taxis et trains. Je grimpe en haut de montagnes, je sillonne des deltas.
Je rentre fatiguée et ravie puis je me mets au boulot, l’autre : écrire, souvent rapidement, tout ce que j’ai à partager d’une destination. Une semaine sédentaire après des jours à m’agiter.
De mes carnets, j’extrais l’utile, le curieux, les sensations. À la fin, il ne reste plus grand chose à raconter sur le blog. Puis, surtout, c’est pas le but. Au contraire, le journal ou le guide qui m’envoie veut vendre son livre, son magazine. Donc je ne vais pas répéter les mêmes contenus sur le blog. Rien de plus normal.
Une fois mes reportages rédigés, dans mes carnets, il ne reste donc pas grand chose. De petites histoires, des anecdotes de trois fois rien, des idées qui n’ont pas germé mais qui auraient voulu… et je n’en fais rien.
Plutôt que de les laisser de côté, j’ai eu envie de créer cette nouvelle rubrique. Un format différent, venu des carnets parallèles, là où je note autre chose que les horaires des musées ou le nom des plantes sauvages. Des textes courts, pas forcément informatifs. Des moments, comme ça viendra.
Voici le premier épisode, né un matin de janvier à Levanto, en Ligurie.
J’aime les bars moches
La voie ferrée est là, au dessus de moi. Sur le mur, quelqu’un a écrit en grandes lettres, à la peinture blanche « STAZIONE FS », avec une flèche. Je suis à Levanto, dans les Cinque Terre, pour une journée de pause sur mon trajet de retour vers chez moi, à Venise. Un train entre en gare. Je me demande où il va, tout en marchant distraitement vers la gare. Alors que je m’engouffre dans le sottopassaggio, je sens les rails vibrer et j’entends retentir la voix dans le haut parleur. Je viens de rater mon train. Forcément.
Le prochain est dans une heure. Je n’ai pas bu mon café, et j’ai dans mon sac un carnet et un stylo : dans ces conditions, impossible de trouver le temps long. En Italie, dans toutes les gares, même les plus petites, il y a un bar. C’est fondamental, le bar pour les italiens. C’est ce lieu où tu trouves tout, des chewing-gum pour camoufler l’haleine d’un long voyage au café bien serré en passant par une ribambelle de sandwichs et de croissants fourrés de confiture.
Ce matin, à Levanto, l’ambiance est un peu déprimante. La gare est déserte, l’horizon humide, la vue porte sur des routes grises et des nuages de la même couleur. Derrière le mot « bar » qui s’étale en lettres plastifiés sur la vitre, ça n’a pas l’air beaucoup mieux. Je pousse la porte, j’ai vraiment besoin d’un café.
Elle se referme dans un claquement métallique et soudain, une sensation de bien-être m’envahit. Tout est là. Le couple de mémés, un chien chacune. Le sapin en plastique blanc façon « enneigé », qui ne trompe personne avec sa guirlande multicolore qui clignote. Les tables en alu et leurs chaises en plastique vertes, bleues et rose. Le comptoir en revêtement « bois » marron foncé. Derrière, deux femmes, l’une âgée portant un col roulé, l’autre plus jeune, piercings, embonpoint, pince dans les cheveux. La vieille s’exclame « regarde moi ce ciel, on dirait du verre », avant de disparaître derrière un rideau de perles en plastique marron et blanc. La jeune me regarde et dit « prego, ciao ». Je commande un capuccino, elle me dit « le cacao est sur le comptoir, si tu veux ».
Je récupère ma tasse et m’installe à l’une des tables. Elle est décorée d’une pigne de pin paillettée et d’un bricolage à base de fleurs en plastique dans une bouteille de jus de fruits. La télé est branchée sur une émission que je ne connais pas : Camionisti in trattoria. Des mecs à moustache conduisant d’énormes camions traversent la plaine du Pô et sa brume pour aller manger des haricots et des beefsteaks dans des restaus presque aussi moches que le bar où je me trouve.
Je me sens si bien que je manque de rater mon train.
C’est comme ça que j’ai réalisé que j’aimais bien les bars moches, bruyants, pas à la mode. Une fois dans le train, je me suis remémoré d’autres bars moches d’Italie. Un bar absurde, à Pozzoli, complètement vide et ringard avec ses bouteilles d’alcools colorés. Un autre, à Rome, quartier Garbatella, linoléum et chaises en plastique rouge sur la terrasse. Encore un, en Abruzzo, aux murs lambrisés, avec des peluches au poil grisonnant accrochées en déco dans tous les coins, sous une impitoyable lumière au néon. Tous ces bars, je les aime parce qu’on n’y va pas pour paraître. On ne vous y demandera jamais si vous voulez tester une variété de café 100% arabica pour seulement un euro de plus. On n’y passe pas de musiquette de surpermarché horripilante. Bref, c’est pas du marketing, c’est juste de l’authentique mauvais goût. Et moi, comme pour les restaus, j’aime ça, c’est tout.
Et vous, les bars moches, vous en pensez quoi ?
Je suis fan du concept de tes carnets parallèles et il me tarde de découvrir les prochains ! Je suis de ton avis, j’aime les endroits laids, vraiment pas faits pour Instagram, où seule la nécessité de boire un café te force à pousser les portes. Ces endroits authentiquement kitsch, dans lesquels on se sent bien ! xx
Merci Ophélie ! C’est tout à fait ça 🙂
Oui, super idée, votre nouvelle rubrique!
Moi, je déteste les cafés moches, ça me déprime. Peut-être que c’est parce que je suis architecte mais le cadre est très important pour moi, quel que soit le lieu. Par contre, j’aime qu’il y ait les voiples de mémés
Bonne année 2020!
Après dans la catégorie moche je range beaucoup de lieux qui ne sont pas « à la mode » ou « uniformisés », ou le mauvais goût s’oppose à la banalité… j’aime bien les lieux avec une belle déco aussi d’ailleurs bien sûr 🙂 bonne année aussi !
Idée géniale ! Vivement le prochain épisode !!!
Merciii <3
Entièrement d’accord avec toi ! Ce genre de bars ont une ambiance particulière où on se sent tout de suite à l’aise 🙂
fan de cette nouvelle rurbique
Félicitations pour cette nouvelle rubrique qui nous fait découvrir l’Italie par le petit bout de la lorgnette. Celui que les touristes dont je suis ne voient pas. Merci pour cette visite dans ce bar moche qui visiblement ne l’est pas!
Merci Martine !
J’ai eu la même expérience dernièrement dans un bar à Florence, j’étais avec une amie qui m’a dit « c’est fou ce mauvais goût, on dirait qu’ils sont restés coincés dans les 80s ». Oui voilà c’était exactement ça, tout était démodé, passé, toc, mal assorti, de la couleur des murs aux posters en passant par le bar et l’éclairage… J’adore 😀
Oh oui !
J’aime beaucoup cette nouvelle rubrique qui nous fait découvrir l’Italie autrement! Et forcement ces intérieurs moches et sans age qui nous catapulte en enfance, quel bonheur! C’est rassurant de savoir que tout ne cede pas a la modernité et nous non plus! Merci pour le voyage!
Oui, et qu’il reste des gares qui ne sont pas envahies de chaînes de cafés ou de magasins de fringues…
J’adore cette idée de rubrique et c’est une révélation pour moi… J’aime les bars moches. Quand j’habitais à Paris, j’allais souvent boire un café dans le bar vers chez moi tenu par une mamie qui tricotait derrière le comptoir et devait bien avoir dans les 80 ans. Les tables en formica, les chaises métalliques, la plaque indiquant la direction des toilettes et de la cabine téléphonique, les clients assortis au bar, etc. Un jour, le bar a fermé, je n’ai plus jamais revu la petite mamie. Quelques semaines plus tard, il a réouvert, complètement transformé, à la mode, branché, désespérant.
je connais ce bar !!! merci d’avoir écrit si bien ce que je ressens exactement dans ce genre d’endroit, et quand j’ai lu le titre et l’introduction de ton billet j’ai immédiatement repensé à ce moment passé dans ce bar !
bref, merci !
et j’adore cette rubrique…
Trop drôle comme coïncidence ! Comme quoi… ce bar incarne à la perfection une forme de laideur qui met à l’aise.
Bonjour ! J’ai vraiment adoré votre article sur les bars moches en Italie. C’est un sujet original et amusant qui nous pousse à découvrir des endroits que l’on n’aurait pas forcément visités autrement. Personnellement, j’aime bien l’idée de sortir des sentiers battus et de découvrir les lieux insolites. Merci pour cette belle découverte ! J’aimerais savoir si vous avez d’autres endroits insolites à nous faire découvrir en Italie ?
Bonjour, je viens de lire votre article sur les « bars moches » en Italie et je dois dire que j’ai été captivé par votre plume. Vos descriptions détaillées et vos anecdotes personnelles ont vraiment donné vie à ces endroits sous-estimés. Je suis curieux de savoir si vous avez d’autres recommandations pour des bars similaires dans d’autres régions ou villes d’Italie ? Merci pour cet article intéressant et bien écrit !