Rome, la nuit.
Un autre monde. Dans les rues, plus de religieuses, plus de familles de touristes. Des groupes d’amis, des couples, des hordes d’erasmus, des clochards à la recherche de chaleur, des ivrognes, mais aussi… des fleuristes.
A 4h30 du matin, en sortant du Circolo degli Artisti, l’une des boîtes les plus cool de la ville, à ce moment un peu nul où la soirée est finie et où l’on va prendre le bus de nuit, on s’étonne, à l’arrêt de bus, de trouver le kiosque du fleuriste ouvert. Il ne passe pas une âme, les seuls à errer dans ce quartier endormi sont encore grisés et attendent le nocturne en essayant de ne pas geler, et le fleuriste, calme, impassible, attend le client, assis sur sa chaise, parfois à moitié endormi.
les photos qui illustrent cet articles ont été prises par le photographe Paolo Fusco. Son site
Mais… pourquoi ? La question se pose et puis le bus arrive enfin, et on n’y pense plus. Et puis… arrivés à bon port, après un trajet secoué sur les pavés, en descendant du bus… un autre kiosque à fleurs.
Le quartier est archi-désert.
Mais je peux me payer un bouquet d’œillets avant d’aller au lit. Alors on se repose la question : pourquoi ?
Légendes urbaines et théories farfelues
<< Un ami est allé leur demander : « Dis moi, parmi toutes vos plantes, il n’y aurait pas une petite herbe parfumée, vous savez, celle qui donne envie de rigoler ? » >>
Non, les fleuristes ne font pas dans l’herbe magique. Ni dans les champignons bizarres. L’hypothèse d’un réseau commode de vente de drogue, avec point de vente fixe, disponible, facile n’est pas la bonne.
<< Ils se tiennent prêts en cas d’accident nocturne >>
Oui, c’est vrai, si on m’appelle au beau milieu de la nuit pour me dire « Viens vite à l’hôpital, ton ami Machin a eu un terrible accident », je vais d’abord me mettre en devoir de trouver des fleurs. Et Rome a pensé à tout pour moi, je n’ai qu’à descendre en bas de chez moi pour trouver un beau bouquet pour ce cher Machin. J’espère tout de même que ce n’est pas trop grave, et puis s’il y est déjà passé, j’aurai déjà les fleurs.
<< C’est juste un truc romantique, pour les couples >>
Alors faisons une petite estimation : Rome a beau être une ville au fort potentiel romantique, combien de bouquets de roses peut-on bien vendre dans un quartier excentré et vaguement glauque entre 4 heures et 6 heures du matin ?
Pas des masses, selon moi.
Sous les fleurs, la misère et l’exploitation
Une réponse pas vraiment satisfaisante : une porte, ça s’installe, et puis, acheter moins de marchandise permettrait de la faire rentrer à l’intérieur. D’ailleurs, Rome est la seule ville en Italie où les kiosques restent ouverts nuit et jour. Et les fleurs de Naples ou de Bologne n’en sont pas moins belles.
Alors ? Le blog Roma fa schifo (Rome me dégoûte) invoque d’autres motifs.
Les fleuristes interrogés par Roma Today ne sont pas propriétaires de leurs kiosques. Le patron, lui, dort tranquillement au chaud pendant que ses employés, pour la plupart des émigrés égyptiens, travaillent 12 heures en continu, malgré l’interdiction municipale d’ouvrir entre 22h et 7h du matin.
Pour un salaire qui va de 2,30€ à 3€ de l’heure, ces émigrés se font les gardiens nocturnes de fleurs que personne ne vient acheter.
Roma fa schifo explique aussi que si les kiosques sont si petits, c’est pour éviter d’avoir à payer une plus forte occupation du sol de l’espace public. Et donc, en payant un tout petit kiosque, les propriétaires se permettent de déverser une marée de fleurs sur le trottoir, en toute illégalité.
Impossible donc de fermer de nuit.
Mais heureusement, dans notre fantastique monde d’aujourd’hui, une armée d’émigrés est prête à bosser pour quasi rien dans des conditions de travail défiant les règles légales. Le travail de quelques semi-esclaves coûte moins cher que la taxe sur l’occupation du sol.
Si cette histoire vous a donné mal à la tête, n’essayez pas de trouver une pharmacie de garde à Rome, achetez-vous plutôt des fleurs…
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