Certains lieux ont une couleur, c’est évident. La blancheur du marbre, le rose de la brique. Le jaune des enduis, le noir de la pierre volcanique. Ou le rouge des rideaux, comme à Ferrare.
Le petite ville de la plaine du Pô, ou circulent 120.000 vélos – selon les chiffres officiels – est sans aucun doute une ville rouge. Une couleur qui nous reste dans l’œil, de ses briques d’un brun chaud aux tentures qui habillent ses fenêtres.
Pourquoi les rideaux de Ferrare sont-ils rouges ?
Il était une fois un maire, dans les années 1970, qui aurait rendu la couleur obligatoire. Le crieur public en aurait ainsi donné l’annonce à la population, perché sur son vélo « Oyez, oyez, citoyens vivant entre les murs de Ferrare ! Si vous voulez du soleil vous protéger, de rouges, vos rideaux vous teindrez ! »
J’imagine que la scène s’est déroulée ainsi. Car mes recherches n’ont rien donné. Je n’ai pas retrouvé de date ou de texte confirmant cette histoire que tout le monde m’a racontée depuis que je suis en reportage à Ferrare. Croyons-les sur parole : si les rideaux sont rouges, c’est parce qu’autour des années 1970, la mairie s’est rendu compte que pour exister, une ville devait avoir une identité visuelle. Être jolie, facile à reconnaître, marquer les esprits.
Il y a des villes qui ont des noms de couleurs. Bordeaux, Parme, Albe.
Et des couleurs qui ont des noms de villes. Jaune de Naples, bleu de Berlin (ou de Prusse), terre de Sienne.
Ferrare, donc, aura ses tentures rouges. La nuance habillera les fenêtres des logements privés, des palais communaux, du château Renaissance. Elle couvrira les stands des foires, protégera les marchands de la pluie ou du soleil.
Et puis Ferrare, le rouge lui va bien. Il rappelle certes les robes des Cardinaux ayant chassé la famille d’Este pour gouverner la ville au XVIe siècle. Mais aussi la couleur politique historique de l’Émilie-Romagne, fief de la gauche en Italie. De l’après-guerre jusque dans les années 1990, ce sont surtout les communistes qui administrent Ferrare. Faut-il y voir un lien avec ce choix des rideaux rouges ?

Colorimétrie du bon-ton
Plus qu’une question de couleur politique, cette uniformisation des rideaux relève d’une passion italienne pour l’harmonie. Il decoro, un mot dont on avait déjà parlé dans un article de 2021, inspiré cette fois par Mantoue. Rien ne doit détonner. Tout doit être joli, propre et bien rangé. Je sais, ce n’est pas l’image que vous vous faites de l’Italie. Un des clichés qui ont la vie dure voudrait que l’Italie soit un pays chaotique et débordant, amant du fouillis créatif. Dans le Nord, le goût de la beauté est pourtant souvent un goût de l’ordre et de la norme. Les étals du marché doivent être bien rangés, faire bella figura. Les vélos doivent être garés aux bons endroits pour ne pas gêner l’œil. Les bancs publics ne doivent pas enlaidir les places.
Safari rouge
Même si je ne suis pas fan des excès de cette passion pour le decoro, il faut bien reconnaître les bienfaits de cette harmonie visuelle. Comme en déco, une touche de rouge relève les images, excite le regard, infuse une joie vibrante. La couleur officielle impose sa palette. Ainsi, elle se marie avec les autres nuances de la ville, nous proposant un jeu amusant. Celui du safari coloré. Avec ou sans appareil photo, on cherche tous les camaïeux de rouge possibles, les mariages heureux entre les teintes. Interrogeant les influences : est-ce que les ferrarais-es portent plus de rouge que la moyenne nationale ? Encore une donnée statistique que je n’ai pas. Je vous laisse donc avec cette galerie de photos où domine le rouge, et vous invite, vous aussi, à jouer au safari coloré.








Je suis toujours partagée entre la beauté de l’harmonie, ce « decoro » italien dont j’ignorais l’existence avant de lire cet excellent billet, et le charme du bordel hétéroclite. Peut-être qu’il faille un peu des deux pour faire une ville.
Très chouette article ! ( j’ai failli mettre joli, mais j’ai corrigé )