Et si l’on faisait du tourisme dans des lieux qui n’existent pas?

Photo de couverture: capture d’écran par Google Street View de la très belle place de Vigevano. Toutes les images illustrant cet article sont tirées de Google Street View.

Ce matin, sur le Corriere della Sera, on pouvait lire un article au titre intrigant (le genre de titre camoulox dont on parlait dans mon article précédent). A Vigevano, petite ville de la province de Pavie en Lombardie, un musée porte plainte contre un site internet. Sur venere.it, on trouve un guide de Vigevano, qui invite à visiter la Collegiata San Pietro puis à déguster un délicieux risotto alla vigevanese. Problème ? Ni ce plat, ni cette église n’existent.

Lire l’article du corriere della Sera

L’article de Venere dédié à la ville Lombarde, qui compte pour seule illustration une image montrant un paysage à travers le hublot d’un avion, est pour le moins inexact. Vague et générique, il semble écrit par une intelligence artificielle plus que par un humain. Je suis même sûre à 99% que les textes sont l’œuvre d’une IA.

Vigevano vue par l’IA

Sans connaître la ville, on s’imagine ainsi Vigevano comme un lieu somptueux, entouré de collines couvertes de vignes, vivant autour de sa place principale et à l’ombre de son château et se nourrissant de riz au fromage cuit dans un bouillon de viande (c’est ainsi que la recette est décrite par le site).

La description n’est pas complètement fausse : Vigevano est connue pour sa place Renaissance, où se concentrent les principaux monuments. Petit bémol, la ville se trouve dans la plaine du Pô, et non sur un territoire vallonné. Surtout, l’article et ses banalités minent les efforts de communication entrepris par la ville, pour valoriser son centre historique ainsi que les alentours. Ainsi, l’Ecomuseo del Paesaggio della Lomellina, nom du terroir entourant Vigevano, s’est adressé à un avocat pour tenter de faire retirer ces articles.

En effet, sur le site, on trouve toute une série d’articles dédiés à de petits villages de la Lomellina. Si petits, que la supercherie devient évidente. Ainsi, Sant’Angelo Lomellina, 817 habitants, un bar, une église, est décrit comme un « musée à ciel ouvert », comportant de « splendides exemples d’architectures lombarde ».

Un site injoignable basé en Roumanie

Selon les informations du Corriere, Venere.it, le site à l’origine de ces guides de voyage farfelus, serait basé en Roumanie. Et refuserait de répondre au téléphone. Sur Instagram, le compte aux 406k de followers a une ligne éditoriale plus que chaotique. Dictons vulgaires, mèmes, posts sur les signes du zodiaque.

Sur le site, la ligne éditoriale est tout aussi surprenante :

• des articles sur « la femme bélier, « l’homme scorpion »,
• conseils diététiques,
• et beaucoup d’articles touristiques.

Dans cette dernière catégorie, une chose étonne. Le choix des destinations. Car Vigevano et la Lomellina ne sont pas les seules régions à faire les frais des conseils approximatifs du site. Une foule de petits villages, des Pouilles au Piémont, bénéficient d’une mise en avant par le site. L’article sur Tavagnacco, 14 000 habitants en province de Udine, est illustré par un hublot d’avion ouvrant sur un quartier de grattes-ciel.

En cherchant dans la barre de recherche du site, on est surpris de découvrir que l’Italie a été passée au peigne fin. Le moindre village semble avoir son article : même le guide du Routard n’est pas au niveau.

Faire du tourisme dans des lieux qui n’existent pas

Et si l’on utilisait ce site à l’éthique franchement douteuse comme invitation à voyager dans des lieux qui n’existent pas ? Pour cela, il suffit de taper une syllabe au hasard dans la barre de recherche du site, et de voir quelles villes s’affichent. Et si on allait à Puglianello ? A Monsampolo del Tronto ? A Maserada sul Piave ?

On y chercherait, à Maserada, la rivière traversant le village, sans jamais la trouver. A Tavagnacco, on y demanderait à goûter le jambon AOP de Tavagnacco, en vain. A Provaglio Val Sabbia, on demanderait le château, sous le regard interloqué des habitants.

Demander à l’IA comment découvrir le monde

J’écris des guides et des articles similaires à ceux de Venere.it (sauf que les informations que j’écris sont vraies et vérifiées). Je suis donc ravie de voir qu’une IA est incapable de faire mon boulot. Mais cette expérience est intéressante. Car grâce à elle, j’ai eu une idée. J’ai demandé à l’IA de me conseiller des choses à faire et à voir dans ma ville. Ses réponses m’ont surprise. Selon l’IA, il y aurait sous ma ville des canaux souterrain à visiter. Certes, les canaux de Padoue ont été en grande partie enterrés pour faire place aux voitures (damnation), mais à ce que je sais, il n’est pas possible de les visiter. A moins que ? D’une certaine manière, l’IA bouscule mes certitudes. Dans un domaine, le tourisme, où la sur-information peut blaser (on a tout vu sur Insta avant même de partir), un soupçon de doute et quelques infos déroutantes ne sont pas de trop. Qui sait, en cherchant le château médiéval ou les souterrains mystérieux, si je ne trouverais pas autre chose ? Un lieu bien réel, intéressant, inattendu.

Peut-être qu’on devrait, finalement, laisser Vénus nous compter ses fables italiennes encore un peu.