Voyage dans un appartement italien

Voyage dans un appartement italien

Ou plutôt, voyage dans une somme d’appartements italiens. J’ai beaucoup déménagé, depuis que je vis en Italie. Je suis passée par une multitudes de colocs, d’appartements étudiants, j’ai dormi sur le canapé de mes hôtes en couchsurfing, j’ai partagé le toit d’une famille de napolitains à Ischia…

Il y a eu cette coloc d’américains à Monteverde qui m’ont foutue dehors parce que je ne supportais pas leur tapage nocturne. Cet appartement à la Garbatella, où il y avait toujours un voisin en train d’utiliser la machine à laver, un couchsurfer sur le canapé et quelqu’un qui jouait de la guitare quelque part. Cette coloc de terroni, quatre mecs venus du Sud, qui me préparaient le dîner quand je rentrais des cours du soir. L’appartement bourgeois du centre de Naples où j’ai été au pair, puis le déménagement estival de la petite famille dans une maison blanche au toit plat sur l’île d’Ischia. Puis encore Venise, quatre filles qui bossent comme des folles dans un petit appart de Cannaregio, organisent des soirées déguisées et de gargantuesques dîners de coloc. Puis les apparts de passage, en voyage. Un canapé à Naples chez un allemand. Un appartement design d’architectes à Bari. Encore à Bari, l’immense appart de Coco, arpenté par son lapin nain. Le chaos de l’appartement de Carmella à Sienne et ses deux énormes tortues, qui « n’arrêtent pas de grossir ». Un vaste appartement moderne, tiré à quatre épingles par Giusi, à Salerne.

Et encore beaucoup d’autres. La maison, les lieux de l’intime, font partie intégrante, pour moi, des voyages. Ce sont des lieux de rencontre. Ils contiennent les souvenirs. Même chose pour ces logements où j’ai vécu plus longtemps. Quand je repense à mes années à Rome, avec mes souvenirs reviennent les sensations du quartier où j’habitais. Les vibrations de la maison, le langage de ses habitants, le rythme et la lumière qui les caractérisaient.

Confinée depuis plus d’un mois, alors que l’extérieur n’est plus là pour appeler constamment à la distraction, je m’amuse à convoquer les souvenirs. Je me représente à nouveau la cuisine, le séjour, les objets de ces maisons où j’ai vécu. A nouveau, comme dans ce vieil article que le confinement m’a permis de retrouver (et qui vous a beaucoup plu), j’ai tiré de ces souvenirs une petite liste d’objets, banals ou étranges. Car en voyage dans un appartement italien, d’une pièce à l’autre, vous seriez surpris des objets que vous trouverez, et de ceux qui au contraire, vous manqueront.

Passeggiata in salotto

appart italien
La fenêtre d’un voisin, à la Garbatella (Rome)

Salon, lieu de lumière. Que le soleil de l’Italie t’inonde. Canapés, coussins revêtus de beaux tissus, livres, instruments de musique. Amis, rires et tapis. Café de la moka, revue d’art, journal du jour. Vaschetta di gelato (achetée chez le glacier du coin), carte de visite oubliée, collection de chapeaux. Mais surtout, rideaux. Rideaux tirés sur l’intime. Rideaux sur le vase clos de la maison. Rideaux qui protègent des regards des voisins mais laissent filtrer la lumière, et la luciole toujours allumée aux pieds de la Madone, sur le mur de l’immeuble d’en face. En Italie, il ne saurait y avoir un salon sans rideau. Vouloir jouir de la lumière, toute la lumière, a quelque chose de suspect. Une lubie d’architecte, éventuellement. Peu importe l’azur du ciel, là dehors, tirez la tenda, fermez le rideau sur le confessionnal du noyau familial. S’il n’y a pas de rideau, les lourds volets de bois, persiennes qui se soulèvent, seront les paupières qui vous isolent de l’extérieur. Car l’appartement ou la maison, en Italie, se doit d’être un autre lieu, où l’on peut oublier la piazza, la passeggiata, il lavoro et toutes les mondanités ou obligations de l’extérieur. Étranger, si tu t’installes en Italie, achète des rideaux. Autrement, tes amis italiens, en visite chez toi, te demanderont en riant « mais tu n’as pas fini de t’installer ? »

Pausa pranzo in cucina

Passée cette introduction au salon, nos pas se dirigent vers la cuisine, un terrain où s’expriment de façon bien plus fortes nos identités. Ici, nous rencontrerons des instruments de torture bien différents, pour infliger aux légumes, viandes et poissons ce que notre fantaisie, ou notre éducation, nous souffle à l’oreille.

appartement italien cafettière
Il y a toujours une moka dans un appartement italien : qu’elle soit design ou défoncée par les années.

Le cas du presse-ail

Je l’ai cherché à Rome. J’ai fouillé les tiroirs de Venise. Je ne l’ai pas trouvé à Naples. Ni à Padoue. Toujours la même question « mais vous n’avez pas de presse-ail ? ». Mystère. La cuisine italienne est pleine d’ail, mais le presse-ail manque à l’appel. Pourtant, s’il y a bien une constante, dans les appartements où j’ai habité, c’est que même les cuisines étudiantes sont dotées de tous les gadgets possibles et imaginables. Paraspruzzi* pour cafetière ? Moka de quatre tailles différentes ? Écumoire à gnocchi ? Maillet à viande ? Présents ! Presse-ail ? Pas. la. moindre. trace.

*à propos du paraspruzzi, ou préservatif à cafetière, voir l’article précédent.

C’est comme ça que pour mon vingt-huitième anniversaire, j’ai reçu en cadeau un élégant étui fermé d’un ruban blanc. A l’intérieur, un presse-ail, dégoté par mes amis dans un célèbre magasin danois. Enfin, j’étais correctement équipée. Malheureusement, le rare artefact ayant beaucoup plu à l’une des colocs arrivée par la suite, je n’ai pas eu le cœur à l’emporter lors de mon déménagement à Padoue. Confinée, sans presse-ail, je me réjouis d’avoir au moins acheté, avant la pandémie, un bon couteau de cuisine à lame épaisse.

L’angle d’attaque de la carotte

Des carottes râpées. Abondamment arrosées de citron. Du cumin. Des pois-chiches. Une entrée que prépare ma mère, et figure dans l’abécédaire de mes recettes depuis que j’ai quitté le nid familial. Domenico, mon colocataire, m’observe. Je sens son regard curieux pendant que je râpe frénétiquement les carottes. « On mange ensemble ? ». Je l’invite, il se régale. Il n’a jamais mangé les carottes de cette manière, me demande la recette. Quelques jours plus tard, je le retrouve aux prises avec la râpe, dans la cuisine. « Lucie, dans quel sens il faut la tenir, la carotte ? J’ai pas l’habitude… »

appart italien
Le modèle de râpe que tous les italiens semblent avoir chez eux

Parce qu’en Italie, généralement, la râpe est cette petite mandoline, qui sert plutôt à prélever le zeste des agrumes ou à faire pleuvoir sur les pâtes de légers copeaux de parmesan. Certes, Domenico avait tendance à appeler sa mère avant d’allumer le gaz. Oui, on trouve, même en Italie (si on cherche bien), des râpes pour faire ses carottes râpées. Mais la râpe indispensable, celle que toutes les cuisines contiennent, c’est ce petit instrument qui permet, comme un archet, de caresser le fromage au dessus d’un plat de pâtes.

Le type de râpe que j’utilise d’habitude

Avventure in bagno

Il bagno, le bain. Zone humide, à risque. Avant d’entreprendre l’aventure, un seul conseil : abandonnez vos certitudes.

Asciugamacosa ?

On en a déjà parlé dans l‘épisode précédent. En italien, serviette se dit « asciugamano ». Asciuga, essuie, mano, la main. Et ce, peu importe la taille de la serviette, et l’usage qu’on lui destine.

Dans l’épisode précédent, je vous parlais également d’un incontournable de la salle de bain, le bidet.

Bien.

Vous vous rappelez, le bidet sert à se laver le postérieur. Donc, il est placé à côté des toilettes. Qui sont elles-mêmes dans la salle de bain. Quand je raconte aux italiens qu’en France, on a une petite pièce dédiée aux WC, sorte de cellule visant à isoler l’acte de défécation de toute autre activité quotidienne, ils trouvent ça bizarre. Mais enfin, et le bidet ? Et pour se laver les mains ? Mais c’est triste ?

Maintenant, imaginez-vous donc une salle de bain italienne, dans un petit appart. Il y a la douche ou la baignoire, les toilettes, le bidet, et juste à côté, l’évier. Vous venez de vous réveiller et de faire vos besoins. Vous vous lavez les mains et cherchez à tâtons une serviette, asciugamano, pour vous sécher. Tiens, c’est rigolo, ces petites serviettes colorées pendues au dessus du bidet ! Ça fera l’affaire.

Malheureux ! Malheureuse !

Ces serviettes au format spécial (40 x 60), plus petit qu’une serviette pour les mains, sont placées au dessus du bidet, une pour chaque habitant, pour s’essuyer… mais pas les mains. Même si la proximité du bidet et de l’évier entretient la confusion, ne tombez pas dans le piège.

Lost in translation dans la camera

La camera. Non, pas la camera obscura permettant de projeter une image. La camera da letto, la chambre à coucher. Même si à Venise, j’ai une amie dont la chambre, au profit d’un canal reflétant les rayons lumineux, se transforme parfois en une sorte de camera obscura à taille humaine. Ce n’est pas cette histoire que je veux vous raconter aujourd’hui. Simplement, entrons ensemble dans la pièce la plus intime de la maison. Là où le lit, parfois matrimoniale (comprendre king size), attend les rêveurs avec ses coussins rectangulaires, qui ne rentrent pas dans les houses d’oreiller standard françaises. Le lieu du repos, de l’abandon, où l’on se retrouve face à face avec l’autre ou avec soi.

Détail, chambre à coucher

L’abat jour (roulez le « r »)

Après m’être fait éjecter de ma coloc à Monteverde (où j’avais vraiment du mal à cohabiter avec 4 américains plus portés sur la teuf à 5h du mat en semaine que sur le ménage), j’ai trouvé refuge dans un appartement de mecs, au sud de Rome. C’est l’une des meilleures colocs où j’ai habité. On rigolait, on jouait aux cartes (je gagnais), ils faisaient le ménage plus scrupuleusement que moi, et je les traquais pour les convertir au recyclage.

Ma chambre était un espèce de cagibi pas trop meublé, mais il y avait un balcon, et le loyer défiait la concurrence. Dans le quartier, il y avait une colonie de lapins et un parc à deux minutes de l’appart, je ne manquais de rien. Sauf peut être d’une lampe un peu moins agressive, pour lire, le soir.

Mon proprio, romain ventru soucieux de mon bien-être, avait accueilli la requête avec bienveillance, clamant « t’inquiètes, je t’amène un abat-jour ! »

Mais qu’est-ce que j’allais bien pouvoir foutre avec un abat-jour ? Merci, mais j’ai déjà ce qu’il me faut, allais-je lui répondre, mais trop tard. Il avait déjà raccroché. Quelques jours plus tard, il a débarqué dans l’appartement, son bob sur la tête et « l’abat jourrrr » à la main. Une lampe de chevet, en fait.

Voilà, j’avais appris un nouveau mot : en italien, l’abat-jour, mot emprunté au français, c’est une lampe de chevet.

Pyjama trois pièces

Dans cette coloc de mecs, quand je rentrais chez moi, j’adorais détailler leurs looks d’intérieur. Il y avait le doctorant à l’université, un fou de stats et de maths, toujours impeccable dans son ensemble chemise-pantalon de pyjama. Puis les deux Andrea, qui partageaient la même chambre, plutôt branchés t-shirt de groupes de métal et pantalon en coton à l’épreuve du temps. Le dernier, napolitain aux rythmes dictés par d’autres lois que celles du jour et de la nuit, inconditionnellement vêtu d’un maillot de la NBA et d’un pantalon de pyjama.

Puis moi, au milieu. En jean et chemise la plupart du temps. J’avais 23 ans, je donnais des cours à des adultes plus vieux que moi et je voulais me donner une contenance. Que je maintenais jusqu’à aller me coucher. Aussi parce que je ne me voyais pas traîner sans soutif et en t-shirt pourri au milieu du cheptel. Jamais aimé les vrais pyjamas, j’ai toujours déclassé les t-shirt troués en habits de nuit. Pour mes colocs, c’était trop bizarre. Je gardais même mes chaussures, éveillant la suspicion. Mais enfin, Lucie, mettiti commoda! Non ti metti di casa? Littéralement : mets toi confort, mets toi de maison.

Cette année là, ma mère, pour ne pas que sa fille déroge au dresscode, m’a offert à Noël un vrai pyjama assorti. Vêtue de mon complet Etam à rayures (la french touch), mon intégration était faite.

Notre voyage s’achève. Puisqu’on est en pyjama, profitons en pour aller nous coucher. Mais avant de dormir, une question , chers lecteurs et chères lectrices : lors de vos propres pérégrinations dans les appartements italiens, qu’est-ce qui vous a frappé .es? Marqué.es ? Surpris.es ? Des objets vous ont-ils manqué ?

Appartement Italien
épinglez-moi !

6 thoughts on “Voyage dans un appartement italien”

  • Nous avons découvert votre blog par l’intermédiaire de cet article paru sur FB. Belle découverte ! L’Italie présente non pas seulement à travers des habituels comptes-rendus de voyage mais comme un apprentissage vécu avec humour au quotidien. Nous sommes séduites !

  • Bonjour,
    J’ai découvert votre blog par hasard et en ces temps de confinement je le trouve très rafraichissant ! Je remonte les archives !
    Pour rester dans le thème « maison et objets », je trouve l’égouttoir dans le placard très pratique (ça se trouve aussi en Espagne), en revanche je déteste leurs éponges toutes ramollos …
    Et les câbles à poulie pour étendre le linge aux fenêtres (aussi en commun avec l’Espagne d’ailleurs).
    Un truc que j’ai toujours trouvé affreux/nid à poussière mais je ne sais pas si c’est typiquement italien : le cache papier-toilette en crochet façon chapeau (un ami d’origine italienne vivant en France a ça dans sa maison française héritée de sa mama et dans son appart italien) .
    Merci pour votre regard sur l’Italie (trop envie d’y retourner du coup !!)

  • Excellent cet article Lucie, comme tous d’ailleurs !

    Je te rejoins à 100% sur le bidet, quand je vivais à Turin, une copine italienne m’avait même montré « en mimant » comment se nettoyer les fesses au bidet, effarée devant mon ignorance face à l’utilisation de cet objet !
    Une autre chose qui m’a particulièrement marqué dans tous mes appartements italiens, et chez mes amis, c’est le Christ un peu partout (tableau, crucifix…), surtout au dessus du lit !(Très belle arbre à bijou d’ailleurs!)
    Un dernier beau souvenir des maisons italiennes, c’est lorsque je vais en Sicile, l’été, chez les parents d’une amie. Le soir on sortait jusqu’à pas d’heure et le lendemain on ne se levait pas avant 12h00-13h00, j’adorais me faire réveiller par le doux cri de la Mamma, à l’heure du déjeuner, qui nous appelait en criant « Ragazziiiiiiii, ragazziiiiiii, scendeteeeeeeee, la pasta è pronta ! »

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