Tout ce que l’Italie m’a appris sur la carbonara

Tout ce que l’Italie m’a appris sur la carbonara

photo de couverture : une carbonara faite maison (je ne suis pas photographe culinaire).

Vous vous souvenez de mon article sur la préparation des pâtes ? Il avait eu son petit succès – même que Konbini l’avait en partie republié, dommage que je ne trouve plus le lien. Aujourd’hui je reviens avec une autre leçon que mon expérience en Italie m’a donnée. Mais ce n’est pas ce que vous croyez. Oui, on va de nouveau parler de pasta. Cette fois, de carbonara. Et vous allez voir, vous allez être surpris.

La Vraie Vérité sur Sa Majesté la Carbonara

Je vous imagine face à votre écran, quand vous voyez l’intitulé de mon article apparaître. Un rictus satisfait s’imprime sur votre visage. Vous savez. « La vraie carbonara, moi, je sais ! C’est sans crème ! ». Vous jubilez en cliquant sur le lien, pour conforter vos connaissances. « Voyons voir si elle précise bien que c’est du guanciale et pas de la pancetta, qu’on utilise ». Vous vous délectez par avance. Cet article tiendra ses promesses.

Si je vous annonce que la recette de la carbonara compte comme ingrédients des œufs, du pecorino, du poivre et du guanciale, vous pourrez dormir tranquille. « Je le savais ! »

Mon placard après 6 mois en Italie : de la PANNA et des PÂTES :O

Si au contraire, j’affirme qu’on peut faire la carbonara avec du beurre, des œufs, du ciment et des escargots, du moment qu’on fait bien la cremina (l’émulsion), vous vous empresserez de monter sur vos grands chevaux pour partir loin d’ici (mais la tête haute) ou ruer dans la section commentaires pour m’insulter. « Moi, je le sais, qu’il n’y a pas de ciment dans la carbonara ! »

Satisfaisant, dans tous les cas. Car il est exclu, en 2025, que vous ne sachiez pas encore que la crème fraîche dans la carbonara est au mieux, un crime de lèse-majesté, au pire, un délire d’étudiant bourré qui rentre de soirée affamé. Qui ignore encore la Vérité ?

Parler de carbonara, c’est donc un truc facile pour se sentir intelligent, cultivé, du bon côté de la casserole. Un truc pour briller en société, voire se reconnaître entre pairs.

Brûler les idoles

Cette rigueur ne s’applique pas qu’à la carbonara. Toute une série de plats emblématiques de la cuisine italienne sont touchés par cet intégrisme alimentaire.

Le Spritz ? Au Prosecco et surtout pas au vin blanc.

Les spaghetti alle vongole ? Sans fromage, grazie.

Le cappuccino ? Jamais après onze heures, malheureux !

L’ananas sur la pizza ? Retrait du permis de séjour immédiat.

En respectant ces règles, on pense s’intégrer facilement à la grande communauté internationale des connaisseurs de cuisine italienne.

Carbonara criminelle ou pâtes à la truffe et crème de parmesan ? Je ne sais plus.

Sauf que.

A Venise, le Spritz se prépare souvent au vin blanc. J’ai même entendu dire que les chauffeurs de taxi le préféraient au Francia Corta, pour montrer qu’ils ont les moyens.

Le fromage sur les pâtes aux palourdes, ce serait oublier tout ce que l’Italie a avalé pendant les années 70-80. Ou encore les innombrables caccio e pepe et crevettes qui sont servies un peu partout dans les restaus gastronomiques du pays. J’ai même mangé une excellente carbonara à la seiche dans un restau vénitien au delà de tout soupçon.

Pour ce qui est du cappuccino, c’est surtout la peur de ressembler à un touriste allemand qui interdit aux italiens d’en commander un après 11h. (Et la peur de devoir courir aux toilettes, l’Italie nourrissant toute une série d’angoisses plus ou moins rationnelles sur les capacités de ses intestins à gérer du lait chaud après la pasta).

Enfin, l’ananas sur la pizza, le sacrilège ultime ? Gino Sorbilllo le fait, à Naples, et c’est franchement pas mal. Franco Pepe aussi, dans sa pizzeria de Caiazzo, où viennent chaque mois 11.000 clients du monde entier. Pour ne citer qu’eux deux.

Je sais ce que vous pensez. Mais alors, comment faire pour savoir si on est dans le juste, ou pas ? Si l’on ne peut pas s’appuyer sur des certitudes aussi simples pour déterminer ce qui est bon ou pas, ou va-t-on ?

L’invention de la tradition

Revenons-en à la carbonara. Qui l’a inventée ? De bucoliques bergers romains sur un pâturage du Latium ? Les restaurateurs romains pour satisfaire les goûts des soldats américains, après-guerre (bacon and eggs, but make it pasta, auraient-ils pensé) ? Difficile à dire.

Ce qu’on sait, c’est que la recette telle qu’elle a circulé n’a pas toujours été si puritaine.

Lecture de pause déj (boulettes végé à la tomate et salade)

Comme le remarque Alberto Grandi dans son livre « La cucina italiana non esiste« , il n’existe pas de source écrite mentionnant la carbonara avant les années 1950. Après être apparue dans les guides américains, avec des recettes citant le jambon, les champignons ou les palourdes comme ingrédients, la première apparition médiatique italienne de la recette remonte à 1954, sur la revue La Cucina Italiana. On conseillait alors d’utiliser du gruyère et de laisser les œufs bien cuire. Selon l’historien, la recette serait née grâce aux rations militaires des américains débarqués en Italie, qui contenaient du bacon et des œufs. Dans une Italie affamée, le plat calorique, riche, anglophone, aurait ainsi incarné un renouveau après la guerre.

La carbonara della nonna

Alberto Grandi est régulièrement couvert d’insultes dans les commentaires des vidéos où il apparaît pour expliquer l’invention de la cuisine italienne. Mais une autre Italie s’exprime aussi sur les réseaux, pour dire son raz-le-bol de l’intégrisme alimentaire. Une Italie qui veut du régressif, de la comfort food, qui en a marre de faire semblant que la nonna, dans les années 80, préparait la carbonara crémeuse, au guanciale, pecorino et poivre toasté à part. Une Italie qui a envie de se rappeler son enfance sans en effacer les produits industriels, les plâtrées de pâtes aux œufs bien cuits et bacon croquant. Sur Youtube, les vidéos abondent en ce sens : exemple ici avec l’influenceuse Fatto in Casa da Benedetta, véritable symbole de la casalinga moderne-mais-pas-trop, qui propose en vidéo sa recette de la « wrong » carbonara.

La fin de la frime.

Mais finalement, le nouveau snobisme ne s’est-il pas juste déplacé ? Pour se sentir supérieur, ne faudrait-il pas désormais se vanter de manger la carbonara « comme dans les années 80 » et d’avoir osé commander une pizza à l’ananas « c’est vachement bon, tu devrais essayer » ?

La plus grande leçon que m’a donnée la cuisine italienne, c’est finalement qu’il vaut mieux se moquer des dogmes, transgresser les règles et ne pas gober le premier discours nationaliste sur la tradition qui passe. Pour se régaler à cuisiner et à manger ce qui est bon plus que ce qui est de bon ton.

Je vous laisse, j’ai envie d’une carbonara végétarienne aux courgettes.

A lire aussi sur le blog : mon article pour tout savoir sur les pâtes et leur préparation. Qui est un peu contradictoire maintenant. Mais apprendre, c’est aussi remettre en question ses convictions.

6 thoughts on “Tout ce que l’Italie m’a appris sur la carbonara”

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