Un peuple de poètes, d’artistes, de héros, de saints, de penseurs, de scientifiques de navigateurs, de migrants.
Au frontispice du Palazzo della Civiltà, surnommé Colosseo Quadrato, à Rome, ces mots tirés d’un discours de Mussolini décrivent les italiens. Un peuple (d’hommes, apparemment) génial, brandi pour exhorter les foules au moment de déclarer la guerre à l’Éthiopie.
Mais le fascisme et la guerre coloniale italienne ne sont pas les sujets du jour. Je vais plutôt vous parler, sur une suggestion d’Ophélie qui blogue depuis l’Écosse, de poésie.
Un épisode des #HistoiresExpatriées que j’écris en pleine canicule et sur l’écran de mon téléphone, pardonnez le côté brouillon : on est (encore) en août.
Un peuple de poètes•ses
Rétablissons le féminin, et oui, j’utilise l’écriture inclusive car : les femmes existent. Si on me dit « poésie + italie », j’avoue que la première chose qui me vient à l’esprit, c’est un souvenir de fac.
Quand j’étudiais à Rome, en Erasmus, je fréquentais un cours de littérature du XXe siècle auquel je ne comprenais pas grand chose et que je trouvais mortellement ennuyeux. On étudiait sur un gros livre, il libro di testo, comme on dit en italien, et la prof accordait beaucoup d’importance à la biographie des auteurs et autrices, qu’on récitait chronologiquement, bien sûr. De ces heures à suer sur l’épais volume, je ne me rappelle de rien, à part qu’Elsa Morrante a vécu à Capri et que le mot menzogna signifie mensonge. Fondamental.
Un jour, me tirant d’une rêverie molle, la prof demande des volontaires pour aller au tableau lire un texte. Enfin ! Il se passe un truc. Je prends mon courage à deux mains et je me lance « Sono francese, però mi va di provare » (je suis française mais j’ai envie d’essayer).
Le texte : un poème d’Italo Svevo, écrivain triestin. Alors que j’inspirais profondément pour commencer la lecture, la prof me coupe, cassante :
– Tu t’en sens capable ?
– Comment ça ?
– C’est pas à la portée de tout le monde, Svevo.
– Ben disons que maintenant que je suis sur l’estrade et que 30 étudiants me regardent…
– Essaie toujours…
Rouge comme un homard ébouillanté, je me lance dans la lecture en inscrivant mentalement le nom de la prof sur la liste de mes ennemis jurés. Et là, c’est terrible : je bafouille, je ne comprends rien, le vocabulaire m’est inconnu, aucune idée d’où placer les accents toniques, ma lecture est pitoyable.
– C’est bien ce que je pensais… conclut la prof avant de me renvoyer à ma place.
Déjà que je n’ai pas de grandes affinités avec la poésie… je n’ai jamais essayé de relire Italo Svevo. D’ailleurs, mon expérience avec la poésie italienne s’arrête là. Par contre…
Les poètes•ses sont dans la rue
Loin de l’Université et des pages imprimées, il y a un lieu où les italien•nes se révèlent poètes et poétesses. C’est la rue. Chaque matin en sortant de chez moi, à Venise, le mur me saluait d’un Ciao bella, inscrit à la bombe rouge il y a des années à l’attention d’une amoureuse. Ces déclarations, les rues d’Italie en sont pleines. Buongiorno principessa. Sei la frase più bella della mia canzone preferita. Apri la finestra, la tua rondine è triste.
Traduction : Bonjour princesse / Tu es là plus belle phrase de ma chanson préférée / Ouvre la fenêtre, ton hirondelle est triste.
Quelques exemples de phrases que j’ai mémorisées au fil des rues.
Les scritte, comme on les appelle, sont partout, du nord au sud de l’Italie, dans les quartiers populaires ou cossus. On trouve même un compte Instagram qui en publie une sélection (toutes les scritte ne sont pas romantiques, d’ailleurs) : Starwalls.
Quand elles sont politiques, les scritte ont leurs codes : à l’extrême droite, on n’utilisera pas les mêmes caractères qu’à gauche. Pour un•e étranger•e, c’est fascinant : la rue nous donne à lire l’Italie, ses humeurs, ses amours et ses colères, mieux qu’un poème en vers au vocabulaire difficile étudié à la fac.
Très poétique cet article Lucie ! J’aime beaucoup la manière dont tu as utilisé la rue comme terrain d’inspiration pour cet article. Ça me motive à faire plus attention à ce qui est écrit sur les murs d’Edimbourg. xx
Dans ton article, ce sont des mots au sol qui t’ont inspiré. Moi, c’est sur les murs, déjà un point commun 🙂
Bonjour á tous
Lucie, votre syllabe est belle, et la vision de la réalité se déverse dans une poésie, l’article decrive l’actualité en façon mélodique, comme l’Italie elle-même.
Bravissimo!
Grazie, Olga!
Waouh, ta prof était vraiment horrible… C’est un peu pareil pour moi, je ne suis pas très copine avec la poésie mais j’adore celle que je trouve dans la rue ! A Crémone les » centri sociali » laissent beaucoup de messages engagés, féministes sur les murs de la ville et on se sent comme soutenue par des ami.e.s invisibles 🙂
Je ne connais pas du tout les centri sociali à Cremone mais un jour j’aimerais bien écrire sur cette réalité très italienne !
Très bel article qui fait autant voyager en mots qu’en images, j’adore ta façon de faire découvrir ces facettes de l’Italie !
Salut Lucie!
Très bel article sur la poésie, comme toujours, avec tes mots et ton style!
Je pense me rappeler, moi aussi, de l’épisode de la « lecture » lors de ce cours de littérature du XXème siècle à la Sapienza. Quel courage tu avais eu! je ne m’en serai pas senti capable…! ha ha
Si ma mémoire est bonne je n’étais pas particulièrement fan de ce cours non plus, cette grande dame m’impressionnait, elle-même poétesse tu t’en rappelles. J’étais allée à son examen à reculons et m’en était tiré avec la modeste note de 25/30 ce qui est catastrophique pour les italiens! C’est toujours agréable de se remémorer cette année d’erasmus à Rome!