Les Histoires Expatriées, notre rendez-vous mensuel, ont ce mois-ci pour thème « le vert ». C’est moi qui l’ai proposé, pensant que dans bien des endroits du globe, nous aurions envie de nous laisser inspirer par cette couleur. Qui nous invite à sortir, virtuellement ou non, de nos espaces domestiques. La couleur de la nature par excellence. Voici mon texte, ainsi que les photos réalisées ces jours-ci à Padoue.
C’était un printemps qui fleurissait tout seul, pour personne.
Un printemps sans propriétaire, comme les paysages de Nicolas Bouvier. Des fleurs énormes explosent entre chez moi et le supermarché. Rose violence, rouge drapeau, elles nous narguent dans leurs pots de terre cuite. L’inscription pourra bien dire ce qu’elle voudra. Propriété de la ville de Padoue, tu parles. Ces fleurs ne sont à personne. Leur beauté, c’est une déclaration d’indépendance. Une façon de nous dire « le printemps s’en fout, que vous restiez chez vous ! »
Déconfinement, déconfiture
Déconfinement, déconfiture. Mon cerveau ne le fait pas exprès, c’est plus fort que lui. Il trébuche sur le néologisme.
Le 4 mai, j’ai les nerfs à vif. En Italie, la Fase 2 (comprendre phase deux), commence. Les français disent « le déconfinement ». Comme si maintenant, pouf, c’était fini. On oublie tout ! Alors que mon amoureux est encore officiellement malade. Que je n’ai le droit de voir personne. Que je suis seule chez moi depuis plus de 40 jours. Le masque vissé sur le visage, la buée qui envahit les lunettes, je ne me promène pas, je file. J’ai l’impression qu’on m’a confinée dans ma tête. Qu’est-ce que ça veut dire, alors, être déconfiné.
La menthe que j’ai plantée le 8 mars sur le rebord de ma fenêtre est désormais plus haute que moi. Les balcons sont des jungles vertes luxuriantes. Les lanternes du restaurant chinois de ma rue se rallument. Le soir, il y a des rires dans la rue.
Quand je ferme les yeux, je vois une serre. Les plantes ont envahi l’espace sous le verre. Personne n’a coupé les herbes folles qui me chatouillent jusqu’à la taille. Je m’imagine sortir de la serre, me faufiler à travers les feuilles grandes comme mon visage. Dehors, il y a l’odeur de l’herbe qu’on arrose, en fin de journée. Je m’endors comme ça, dans des rêves verts.
La reverdie
Négatif, feu vert. Deux fois. Enfin. Mon amoureux revient, les masques tombent et l’enfermement s’efface. Nous marchons, tout le weekend, autant qu’on peut. Nous sommes épuisés, tout de suite. Dans la rue, nous cherchons le vert. Il est au fenêtres. Derrière les grilles. Sur les façades. En haut des branches. Le long des canaux de Padoue, personne n’a taillé les herbes folles, c’est la campagne retrouvée. Il y a des poussins qui suivent leurs parents sur l’eau. Je n’ai jamais rien vu d’aussi joli qu’un poussin de poule d’eau. Noir, le bec jaune, ils sont huit, rapides, excités. Ils surgissent de sous une plante, en brèves excursions. Les herbes hautes les intriguent, ils y courent et retournent à l’abri, sous les feuilles de leur buisson. Ils se déconfinent par à-coups.
Nous aussi.
Les articles des autres participant.es sur le thème du mois sont à retrouver ici :
- Agathe à Casablanca au Maroc nous parle d’un thé vert d’espoir
- Pauline, en Corée, nous offre un petit poème dédié à sa couleur préférée, le vert
- Avec Nicolas et Agnès, en Jordanie, le vert se décline dans toute sa palette
- Vert ou bleu ? Le point sur une couleur avec Eva, au Japon
- Avec Karine à Hong Kong à la découverte du thé Oolong
- Adrienne en Angleterre nous ouvre les portes de son jardin
- Angélique au Sénégal
- Coralie en Andalousie et l’envol du vert en poésie
- Elisabeth au Koweit, une expatriation dans une nature non-verte
- Sarah vit en Ecosse. Est-ce un pays écolo ? Elle nous propose sa réponse.
- Camille nous bringuebale du Nord au Sud du Vietnam en dix idées vertes
- Amélie et Laura sont à Turin et regardent vers l’espoir (vous l’avez ?)
- Traversons l’Angleterre avec Ophélie en trente nuances de vert
- Catherine, en Allemagne, qui est un pays vert mais aussi le pays des Verts 😉
Cet article a été en partie inspiré par des propositions de l’atelier d’écriture d’Amélie Charcosset. Amélie, c’est quelqu’un que je suis depuis longtemps, qui créée des poésies, des cours de FLE ou des caviardages, qui plante des navets ou qui écrit un roman. Confinée, elle a déplacé ses ateliers d’écriture sur Zoom, dans un espace virtuel. Accessible pour moi aussi, pour la première fois. J’ai participé, deux fois, et certains des mots qui se sont mélangés dans cet article viennent de bouts de textes écrits avec elle. Merci, Amélie !
Vous pouvez suivre son blog, le thé est encore chaud, et bien sûr, ses réseaux, Facebook, twitter, et sa newsletter 🙂
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Porte-toi bien…
« Jungle au balcon
ambiance bucolique au salon »
Porte-toi bien…
Merci Angélique ! Cet article a été un peu un expiatoire en cette période difficile, mais petit à petit ça va mieux 🙂 porte toi bien aussi, bises !
C’est trop chouette d’en retrouver certains, de mots, et de découvrir tous les autres… Merci pour ce récit, Lucie ! C’était un vrai plaisir de t’avoir en atelier 🙂 Et bon courage pour ces jours étranges…
Comme on te comprend ! Heureusement, le vert égaye ces temps troubles et aide à garder le moral. Il nous tarde d’aller en pleine nature mais pour le moment, on profite de ce que l’on a à porter de chez nous et petit à petit, nous irons vadrouiller un peu plus loin !
Le vert, un thème parfait pour ce mois de mai où on ne peut définitivement pas faire ce qu’il nous plait!
Qu’elle est belle cette fenêtre fleurie aux volets bleus ! Bon rétablissement surtout et j’aime bien cette (re)découverte de petits détails que nos vies d’avant nous ont fait oubliés. Courage pour la suite et j’espère que la suite sera pleine de verdure !
Oui en France un mot a été créé pour l’occasion, c’est en effet déconfinement. Il est répété à l’envi par tous les médias qui utilisent aussi le verbe déconfiner. Lu dans « Le Monde » : « Déconfinera ? déconfinera pas ? », il est utilisé également sous sa forme réfléchie, toujours dans « le Monde » : « l’Espagne se déconfine ». Il rentrera probablement dans les dictionnaires l’an prochain. Pour l’instant il suscite les vaguelettes rouges du correcteur d’orthographe.
Le vert étant la couleur de l’espérance, espérons que l’étape prochaine ne soit pas la création (et l’utilisation) du verbe « reconfiner » !
Le 2 mai à Madrid, lorsque les balades ont été de nouveau autorisées, comme toi, mon corps en a pris un coup ! Une balade d’une heure a suffit à m’éssouffler et à brûler mes jambes… Alors qu’avant cela, on se tapait facilement des balades de 3h avec mon copain ! Et comme toi, le premier réflexe a été de chercher la verdure. L’odeur des arbres, la fraicheur qu’ils apportent, le bien être de tout simplement, revoir un bout de nature…
La végétation est à son aise et reprend ses droits contre la ville. Jolies photos !
Merci pour ce beau texte émouvant 🙂
Un article sur le vert, l’espoir…en attendant la liberté, de circuler ! 🙂 Merci pour ce bel article et à bientôt.
J’ai cherché les poules d’eau pendant un moment… Merci pour ce bel article. ♥ xx
Voilà un drôle de printemps que nous avons vécu. Tu as su joliment décrire ce renouveau sans oublier la place de l’homme dans cette redécouverte de la nature. Une vraie première primavera.
Voilà un drôle de printemps que nous avons vécu. Tu as su joliment décrire ce renouveau sans oublier la place de l’homme dans cette redécouverte de la nature. Une vraie première primavera.
Le rideau sensuellement dégraphé est superbe! Je me souviens avoir eu un énorme coup de coeur sur Insta. J’espère que ça sera plus facile pour vous en Italie ces prochaines semaines.
Un très bel article ! C’est très joli les plantes qui poussent de cette manière sur les balcons ☺️ en tout cas je comprends tout à fait ton ressenti. C’est vrai qu’ici en France, j’ai l’impression que les gens pensent que le virus s’est évanoui, alors qu’il continue doucement ses ravages…
Magnifiques photo et super idée que de partager ces histoires d’expatriées sur des thèmes j’adore !