photo prise à bord de la ligne 628 à Rome.
Il est 19h16 lorsque j’arrive à l’arrêt de bus. Rome baigne dans la lumière dorée de ses heures tardives. C’est le premier dimanche de septembre, il fait encore chaud. Le long de la via delle Terme di Caracalla, un fleuve de voitures défile. Pour ces retrouvailles avec Rome, j’ai décidé de prendre un bus au hasard. D’y rester jusqu’au terminus.
19h16, via delle Terme di Caracalla
Autour de moi, les seuls piétons portent des vêtements colorés, humides de sueur. En petits groupes ou seuls, ils courent sur l’asphalte. Ignorent les voitures qui parfois les frôlent. 2,6 millions de véhicules circulent dans la métropole romaine, qui compte 4,3 millions d’habitants. L’Atac, société de transport romain, gère, elle, 2.300 véhicules. On a beau être dimanche, le trafic est assez dense, mais mon bus n’arrive pas. Les moustiques, eux, s’attaquent avec voracité à mes chevilles. Des djembés résonnent au loin. Hier, l’artiste Max Pezzali a clôt la saison de concerts au Circo Massimo. Cet été, les fans de Travis Scott, réunis dans ce même lieu, avaient sauté en coeur au point de faire trembler le quartier entier. Des vibrations enregistrées par les centres sismographiques, effrayant les résidents persuadés d’avoir à faire à un tremblement de terre. Tout en me grattant les chevilles, je guette le coin de la rue, d’où mon bus tarde à surgir.
Je commence à me demander si je n’ai pas eu une idée stupide, quand soudain…
19h35, le 628 arrive en trombe
Le bus accoste, les portes marquées d’un sens interdit s’ouvrent devant moi. Personne ne descend, je monte. A moitié vide, le bus fonce sur les pavés en direction de la Bocca della Verità. Sur le trottoir, une foule se masse en terrasse de bars que je ne reconnais pas. Nous remontons vers Piazza Venezia, les sampietrini font trembler l’habitacle. Sous la roue droite, un bruit métallique inquiétant rythme le voyage. Sur la façade d’un vieux palais, une publicité montre une femme enlaçant un nourrisson, coiffée du texte SEMBRA VIVO – il a l’air vivant.
Le long de via del Plebiscito, le bus s’immobilise à un arrêt où de nombreux passagers scrutent l’horizon. Un monsieur caresse sa barbe, consulte sa montre. Ce n’est pas le 628 qu’il attendait. A l’arrêt suivant, un touriste, chapeau de trappeur et badge pro-nucléaire sur sa veste sans manches hésite à monter à bord. Une femme s’installe à côté de moi, met ses pieds sur le siège de devant, les retire en m’observant du coin de l’œil. Sur son téléphone, elle regarde volume à fond une vidéo d’un prêtre portugais, exalté.
19h39, les lampadaires s’allument
Pressé, le bus traverse à toute allure le centre historique, marquant un arrêt express devant le Sénat gardé par les carabinieri. Le long du Tibre, l’asphalte lisse rend le ronron du bus plus discret. Au niveau de l’Ara Pacis, ma voisine est prise d’un fou rire, téléphone serré contre elle.
De l’autre côté du Tibre Rome se fait plus bourgeoise. Un groupe d’adolescentes en short, paquet de gâteaux et bouteilles en plastique à la main, s’installent au fond du bus. Elles sont outrées. Les exclamations des filles dépassent le bruit du bus. « Raga, c’est une salope ! A notre âge, y a des trucs qui se font pas, elle le dit à tout le monde : mais c’est elle la première ! ». Sur le téléphone d’une voyageuse assise un peu plus loin, un immeuble explose. « Je peux pas y croire ! », hurle une autre ado. Puis la troupe s’élance hors du bus. Il fait nuit. Dehors, une grande publicité vante le parti de Matteo Salvini, la Lega. Au feu rouge, deux voitures sont arrêtées, les conducteurs penchés sur le capot béant de la première.
Il est 20h05, je suis arrivée au terminus. Je suis à Ponte Milvio, un quartier que je ne connais pas, à 6,5 km de mon point de départ à vol d’oiseau.
Toujours un plaisir de retrouver ton écriture et tes balades originales, je dirais même inattendues !
C’est une bonne idée, de prendre un bus au hasard jusqu’au terminus, et d’observer le paysage, les gens… un bon moyen de s’immerger dans la vie quotidienne dans un ville comme Rome où on peut vite être happés par les lieux sur touristiques 🙂
Ha qu’est ce qu’on aime Rome !