Sacrée sagra !

Sacrée sagra !

Quel est le point commun entre des militants communistes, un groupe de femmes voilées, des paroissiens fidèles, une mamie endimanchée et l’équipe des minimes de foot d’une ville de province ? Vous pouvez les rencontrer autour d’une même table lors de la sagra, la plus populaire des fêtes italiennes.

Dans mon quartier, à Padoue, c’est San Bellino qui ouvre la saison. La paroisse met les petits plats dans les grands. T-shirts verts siglé STAFF pour les volontaires, tablées numérotées, menu à prix populaire (5€ l’assiette de pâtes, 11€ le « piatto della festa »), tournoi de foot, DJ-set, karaoké, jeux gonflables, concert des étudiants de la section musique du lycée…

L’église de San Bellino, construite en 1975, a des airs de parking

C’est samedi et il y a foule. La queue s’étire sur de longs mètres entre les caisses et le portail de la paroisse. Il va falloir poireauter un moment pour goûter aux fritures de poisson, à la grillade de saucisses ou au assiettes de bigoli in salsa (des pâtes aux anchois).

A la pêche aux babioles

On va faire un tour à la pesca en attendant ? Dans une salle à l’abri, un bric-à-brac merveilleux où se mêlent vélo rutilants, tupperwares, ballons de basket, chaises longues pliables et barbecue en kit monte jusqu’au plafond. Chacun de ces trésors porte un numéro. Grâce à une manivelle, la pesca s’agite dans sa roue en fer. Les numéro à tirer au sort (pescare, pêcher, en italien) sont roulés et maintenus par une petite pâte crue et s’achètent généralement 1€ le numéro.

La pesca de la sagra de Sant’Antonino, quartier Arcella, Padoue

Le sort tranche : numéro 5237, un paquet de mouchoirs. Numéro 136, une cocote-minute. Entre le téléviseur et les bulles à souffler, on peut gagner une planche à découper décorative, une boule à neige, un saladier, des raquettes de plage, un pantalon de sport ou un jeu de cartes. Souvent offerts par des sponsors, ces lots permettent aux organisateurs de la sagra de financer leurs activités. Et aux visiteurs de sombrer dans une passagère ludopathie sans conséquences (je suis accro).

« Nous vous rappelons que vous êtes ici pour une opération charitable » récite le panneau à l’entrée de la salle de la pesca

La sagra, c’est l’Italia

La sagra, c’est un peu un melting-pot de tout ce qu’il y a de plus italien. On en trouve du Nord au Sud du pays, dès le début du printemps jusqu’aux derniers jours d’automne. Liées par leur nom au sacré (sagra vient du latin sacrum), elles peuvent être organisées par la paroisse comme par l’association de promotion du territoire (la Pro Loco). Pour organiser une sagra, il faut un prétexte. Ca peut être un produit local à célébrer, une fête religieuse ou l’arrivée d’une saison.

« embaucher un graphiste » ne fait visiblement jamais partie de la to-do list des organisateurs de sagre

Pas de fête sans banquet

L’important, c’est de manger. Le menu, essentiel, propose toujours les mêmes spécialités du cru. En Vénétie, c’est bigoli (de gros spaghettis frisés) polenta grillée, haricots aux oignons. Dans les Marches, cèpes frits, olives ascolane, vincisgrassi (les lasagnes dans les Marches) ou crema fritta. Le long des routes de province, les publicités annoncent la couleur. En gros, le nom de la sagra, suivi des spécialités à y goûter. On accourt de loin pour se régaler.

Parfois, c’est un produit qu’on célèbre. Sagra des cerises (à Lari, en Toscane), sagra des artichauts (à Sant’Erasmo, à Venise). Une façon de marquer les esprits et d’affirmer sa supériorité sur le voisin – qui fait forcément de moins bons artichauts, sinon il en ferait une sagra, pardi.

Une fois qu’on a le menu, il faut un programme. Il y a la pesca, parfois un mercatino, c’est-à-dire un petit marché où faire des affaires. Un tournoi de baby-foot (dites calcio-ballila), une exposition de toiles (rigoureusement affreuses). Le soir, place à la musique. Reprises de standards italiens, célébrités locales (en perte de vitesse), orchestre du conservatoire, DJ-set intergénérationnel, spectacle de danse ou groupe de garage rock local, vous avez le choix. L’important, c’est que ce soit bon enfant.

A lire aussi : ce récit de la fameuse sagra dei primi (la sagra des pâtes) à Vicopisano, en Toscane.

Une armée de volontaires

Il ne reste plus qu’à mettre sur pied une armée de volontaires, afin de monter tout le bazar. Parce qu’une sagra, c’est avant tout une organisation, impeccable ou machiavélique, c’est selon. Gestion des foules oblige, quand on arrive, on fait la queue à la caisse, un menu à la main. Le stylo passe de main en main, tandis que chacun note sa commande dans les cases prévues à cet effet. Attention ! Si vous baissez votre vigilance, vous risquez à tout moment d’être doublé par une personne âgée sans scrupules.

Il est 19h30 : les volontaires annoncent qu’il n’y a plus de friture

Munis du précieux ticket, vous pouvez maintenant vous approcher des tables. « Les volontaires vont vous servir », vous annonce-t-on au moment de vous indiquer votre table. Pas de place pour l’improvisation, on vous dit où vous installer, et vous ne bougez plus. Sinon, c’est le bordel. Pas question de risquer de renverser un plateau de saucisses grillées en faisant chichois* entre les tables.

*vocable de sudiste qui signifie faire le bazar.

Dès 19h, les tables commencent à se remplir

Voilà qu’apparaît un enfant de huit ans, pichet de vin rouge à la main et t-shirt STAFF sur le dos. C’est lui qui prend la commande. Ils sont un essaim de gosses à slalomer entre les tables pour ramasser les assiettes vides, amener de l’huile, servir les boissons. Visiblement, le volontariat permet de contourner les règles sur le travail des mineurs.

Sagra changera pas

Mais pas de place pour les polémiques à la sagra. Qui incarne l’Italie provinciale, un peu figée dans ses traditions, mais unie par l’envie de faire la fête et banqueter ensemble. Sans prétention. D’ailleurs, on peut parfois entendre l’expression « da sagra » pour qualifier quelque chose de populaire, sympathique mais peu qualitatif. « Un chanteur da sagra« .

Mais alors, sagra changera jamais ? Que nenni ! Déjà dans les assiettes, le menu des sagre (le pluriel) reflète l’Italie d’aujourd’hui. Difficile de changer les mentalités dans ce pays, qui fait par contre preuve de beaucoup d’ouverture d’esprit lorsqu’il s’agit de bien faire à manger, que ce soit végétarien, végan ou carné. A la sagra de San Bellino, une assiette végétarienne, l’autre végane, mais aussi des pâtes en sauce tomate, des légumes, des frites… sans manger de viande, on a le choix entre 5 ou 6 options, servies dans des assiettes en carton compostable. Heureusement, certaines choses changent, lentement.

Vous en voulez encore ? Allez lire cet article sur les personnages de sagra, c’est savoureux (bien que relevé de pas mal de clichés sexistes).

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