Venise, morte ou vive

Venise, morte ou vive

On change d’année, on tourne la page, on fait des bilans, on se pose des questions. On se projette. Que nous réservent les mois à venir ? Cette question, je me la suis posée en pensant à Venise. Que va-t-il se passer dans la ville abandonnée des touristes, comme il est désormais d’usage de la surnommer ? Autour de ces interrogations, fleurissent les narrations. Il y a ceux qui clament que c’est fini, que la ville est morte. D’autres au contraire, qui affirment plus fort encore que la vie est bien là. Wanted, Venise, morte, ou vive !

Venise est morte…

C’est sur Instagram que j’ai vu pour la première fois le message, en lettres capitales : Venezia Morta. Venise Morte. Derrière le slogan, un compte du même nom, qui se décline sur les divers réseaux sociaux et sur un site internet. Dans une brève vidéo, montrant vitrines closes, avis de locaux en vente, bars et restaurants déserts, la ville est mise en scène, poussant un cri d’agonie.

En quelques clics, on accède au manifeste, décrivant Venise comme une ville morte, dépeuplée, abandonnée aux mains des pires spéculateurs. Coupables, les vénitiens eux-mêmes, pour avoir abandonné leur ville au plus offrant. Dans cette non-cité, les auteurs nous invitent à occuper la ville en dansant : non sur les ruines, mais pour redonner un sens à la vie et à la ville, jusqu’à la mort. Qu’on ne se méprenne pas, Venise n’est pas l’énième victime de la pandémie. Il y a longtemps que la ville n’en est plus une, pour les auteurs.

Il n’y aurait donc plus de signe de vie à Venise ? J’ai posé la question aux auteurs du manifeste, qui ont tenu à conserver l’anonymat et m’ont répondu dans un mail. « Venise n’attire plus d’énergie, de gens. Pourtant, comme le récite un dicton local, « il y a plus d’associations vénitiennes que de vénitiens ». Mais cette vitalité ne suffit pas à « créer un élan, d’aller au delà du petit article élogieux dans la presse. Il manque les outils pour créer une synergie ».

Le Fondaco dei Tedeschi, ancien entrepôt marchand, était utilisé comme bureau de poste central jusqu’à sa récente transformation en centre commercial de luxe.

« Une ville qui se présente comme un parc d’attraction archéologique à ciel ouvert, où les habitants n’ont pas d’autres opportunités professionnelles qu’un travail précaire ou non-déclaré pour quelque business touristique, sans pouvoir construire de projet, ça n’est pas une ville », précisent-ils. Difficile de leur donner tord quand on a expérimenté la précarité de l’emploi à Venise, où le statut d’auto-entrepreneur et les arrangements plus ou moins légaux remplacent souvent le contrat de travail, afin de mieux suivre l’offre et la demande touristique. Un phénomène qui touche jusqu’au des guides des musées de la ville, qui travaillent comme indépendants (et donc n’ont pas touché le chômage partiel pendant les fermetures).

… vive Venise !

A l’opposée de ce discours funèbre, les réseaux sociaux et même les rues de la ville abondent de messages positifs, clamant Venezia è viva ! Venise est vivante ! Un groupe d’habitants invite les vénitiens et les vénitiennes à afficher le message à leur fenêtre, afin « de ne pas être oubliés », comme ils le disent sur Instagram.

Ce besoin de dire qu’on existe, qu’on est vivant et que la ville aussi est partagé par Philippe et Ilona Gault, auteurs du podcast en français Ici Venise, que j’ai également interviewés. « Le discours sur la mort de Venise, c’est de l’histoire ancienne. On annonce son décès depuis la fin du XIXe siècle ». Plutôt que de participer à cette litanie funéraire, qui contribue à « enterrer la ville plus qu’à la faire vivre », le duo père-fille préfère se concentrer sur la vitalité de Venise, qu’ils observent tous les jours autour de chez eux, lors de leurs promenades.

Car en affirmant que la ville est morte, « on légitime des politiques qui ne tiennent pas compte de la réalité de la ville ». Il s’agirait donc de « repolitiser le désir de Venise, à travers les narrations ». Ainsi, il serait contreproductif de déclarer Venise morte, car ce serait comme affirmer qu’il n’y a plus rien à en faire. Fichu pour fichu… autant en exploiter les dernières richesses jusqu’à épuisement total des ressources. Une description qui rappelle un peu trop, à mon goût, la gestion de la ville ces dernières années. La décision de maintenir les musées fermés jusqu’en avril, date escomptée du retour des touristes, n’en étant que la plus récente et cynique attestation.

Le Paradiso, de Tintoretto, une toile qui orne la Salle du Conseil Majeur du Palais des Doges

Entre vie et mort

A titre personnel, je suis partagée entre les deux narrations. Parce que oui, Venise compte plus d’habitants que le nombre officiel (environ 52.000) enregistré. Sa désertion réelle ou supposée est difficile à mesurer. Ses habitants sont engagés dans la vie de leur ville, passionnés, et s’activent pour y organiser les activités que la mairie ne prend pas assez en charge : solidarité, culture, entraide, service aux familles…

Mais difficile d’affirmer « j’existe » et d’afficher à sa fenêtre « Venezia è viva » quand on expérimente les difficultés à s’y installer durablement. Quand j’habitais encore Venise, j’avais souvent l’impression que la ville me repoussait au lieu de m’accueillir. La place qu’elle me réservait était marginale, sinon inexistante : pour les moins riches, ne restent que les rez-de-chaussée inondables, les ruelles sombres, les appartements humides aux murs piquetés de moisi. Quand on se retrouve dans cette catégorie, le discours de la ville morte est séduisant. Il faut cependant arriver à le dépasser pour proposer quelque chose de constructif. C’est d’ailleurs là que les discours sur la ville morte et vive se rejoignent.

Remplir les vides

Comme dans toute crise, il y a une opportunité. « La crise actuelle est en train de creuser un gouffre à Venise. Ce vide peut être rempli par les spéculateurs, qui ont de grandes capacités économiques et souhaitent voir repartir le tourisme de masse. Il peut aussi être occupé par des personnes de bonne volonté, avec une vision de la ville capable de créer des opportunités et des projets », conclut Venezia Morta. Pour, on l’espère, renaître et débrancher la perfusion de la manne économique touristique. J’ai du mal, cependant, à imaginer un tel projet se réaliser sans une volonté politique et une contribution de ceux qui détiennent le patrimoine économique, autrement, comment aller vers une transition ?

A suivre : Venezia Morta et Venezia è Viva

A écouter : Ici Venise, podcast francophone.

A lire : Retour à Venise, un article que j’ai écrit fin novembre, ou, en italien, l’article de Zero, Venezia, morta o X.

2 thoughts on “Venise, morte ou vive”

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.


You Might Also Like

J’ai écrit un livre (+concours)

J’ai écrit un livre (+concours)

« Quand je serai grande, j’écrirai des livres ! », déclare l’enfant qu’un jour j’étais. Je ne savais pas encore à propos de quoi, mais mon rêve était là, sûrement nourri par ma passion pour la lecture. […]

Venise pour tous

Venise pour tous

Aujourd’hui, très cher lecteurs, très chères lectrices, j’ai plusieurs raisons d’être heureuse. 1 ) J’ai une bonne nouvelle. 2 ) Des petits cadeaux à vous faire gagner. 3 ) Et j’ai écrit un nouvel article […]

[TERMINE] Concours : 5 Guides Évasion Sicile à gagner !

[TERMINE] Concours : 5 Guides Évasion Sicile à gagner !

BONJOUR A TOUS JE SUIS SUPER CONTENTE PARCE QUE : Ça y est. Il est arrivé. Le facteur a sonné à la porte, et m’a confié le bébé : un beau paquet en direct des […]