J’ai (presque) fait la vogalonga 2021

J’ai (presque) fait la vogalonga 2021

Chaque année, en mai, deux événements attirent à Venise une foule bigarrée, où se distinguent clairement deux tribus. Lunettes de créateur sur le nez et robes de cocktail à tout heure du jour, la première se presse à la Biennale pour admirer les pavillons de tous les pays. Chaussures respirantes aux pieds et verres polarisés en toutes circonstances, la deuxième a une rame, ou deux, à la main. Elle se rassemble pour parcourir la vogalonga, une régate non-compétitive de 30 km.

En 2020, pandémie oblige, la vogalonga n’a pas eu lieu. Comme partout dans le monde, le calendrier des grands événements a fait un bond en avant. Nous voilà donc en 2021, Venise célèbre l’anniversaire de sa naissance légendaire (1600 ans, mythe ou pas, ça se fête).

parcours vogalonga 2021
Le parcours 2021 de la manifestation, image tirée du site officiel

Dans cet élan célébratif, la vogalonga, créée en 1974, ne pouvait manquer à l’appel. A l’origine, l’événement naît pour manifester contre la présence de plus en plus invasive des embarcations à moteur sur les canaux de Venise. Le moto ondoso, c’est-à-dire la houle, provoquée par la multiplication des taxis, barques privées et autres bateaux de croisière rend difficile la circulation en barques traditionnelles et ronge les fondations des palais.

vogalonga avant la pandémie
La vogalonga avant la pandémie – Photo par CRI* (licence CC BY-NC-ND 2.0)

La manifestation réunit d’abord les passionnés de voga veneta, la vogue vénète, qui se pratique debout, face à la proue. Puis, les années passant, les touristes affluent, munis de kayaks, de canots et autres embarcations à rame et la vogalonga devient une grande fête de la rame en tout genre, une sorte de carnaval des flots. En 2007, le record est battu : 1550 embarcations, avec à leur bord 5800 participants, se défient sur les eaux de la lagune.

Retour aux sources pour la vogalonga 2021

Cette année, pas question, alors que la pandémie impose encore ses limites au secteur touristique, de convoquer à Venise les barques du monde entier. Mi-avril, le bruit se répand dans la presse et sur les groupes whatsapp de vogueurs : la vogalonga 2021 aura bien lieu, mais uniquement à la veneta. Exit les canoés, les pirogues et autres bateaux-dragons. Seule la traditionnelle voga, qui permet la distanciation entre les membres de l’équipage, sera autorisée sur la ligne de départ.

Le parcours, lui, sera réduit à 20 km au lieu de 30, et évitera le canal de Cannaregio afin d’éviter les rassemblements sur les quais. Pour certains, c’est une aubaine. « On va pouvoir se compter », me confie un vogueur le jour J. « D’habitude, les barques traditionnelles se perdent dans la masse. Cette année, c’est l’occasion de prendre la mesure du monde des passionnés de voga alla veneta. Si l’événement a du succès, on pourrait imaginer d’autres journées sans moteurs à Venise ».

Comment je me suis retrouvée là ?

Dix jours avant que le bassin de Saint-Marc ne se retrouve envahi de barques de tous types, je suis à Mantoue pour un reportage. Mon téléphone sonne, c’est Silvio, l’instructeur avec qui je vogue à Padoue. « Lucie, tu veux participer à la vogalonga? J’ai des amis vénitiens qui ont une place sur une caorlina ». Vingt kilomètres sur une caorlina, lourde barque à 6 rameurs qui servait autrefois au transport des marchandises, tu m’y vois, toi, Silvio ? « Mais oui ! C’est un équipage sympa, vous serez huit, vous pourrez alterner ». Okay. L’occasion est trop belle. J’accepte. Entre mon retour de reportage, et le jour de l’événement, une montagne de travail m’attend. Il me sera impossible de m’entraîner, mais c’est dit : le 23 mai, je participe à la vogalonga.

Conseils pour un champion

C’est comme ça que le samedi, je fais mon sac pour Venise. Je n’ai pas vogué depuis des semaines, et mes nuits sont trop courtes depuis un moment. La météo menace de changer à tout moment et je me demande dans quelle galère je me suis fourrée. Ce soir, je dors à Venise chez une amie. Nous devons parler de l’association que nous venons de créer, le Pont de Venise. Pour trinquer à la naissance du premier réseau de professionnels francophones à Venise, j’emmène mes copines sur les rives du Grand Canal. Je connais un bar, l’Ombra del Leone, où le prosecco coûte 5€ et se déguste face à l’église de la Salute. De fil en aiguille, de discussion passionnée sur la gestion de l’asso en verre de prosecco, la soirée se termine à 1h30 du matin. Demain, j’ai rendez-vous à huit heures pour commencer la régate. Tout-va-bien.

Rendez-vous ponte dei meloni

Sept heures, le réveil sonne et les hirondelles piaillent. Le soleil brille, mon cerveau est en sueur. Ça va être sport. Vingt minutes de marche dynamique dans une Venise qui dort encore me conduisent Ponte dei Meloni, notre point de RDV. Sur le chemin, je ne croise que des membres de la tribu des vogueurs, vêtus aux couleurs de leur club. Aujourd’hui, je joue avec la Remiera San Giacomo dell’Orio, couleur jaune soleil. Hier, ils ont sorti la caorlina du chantier naval pour l’amarrer sur le Grand Canal. On hâte les derniers préparatifs, les phrases en vénitien fusent. Sous son masque, je reconnais une des membres de l’équipage, une ancienne collègue de travail de mon compagnon. « Cavate ea mascherina », enlève ton masque, me dit-elle avant de me reconnaître à son tour.

A vos marques, prêts, voguez

On charge le bateau : rames, saucisson et bouteilles de prosecco dans la glacière, on est prêts. Avant de partir, Daniele nous donne les instructions. La caorlina compte six rameurs. Le premier est le provin, c’est lui qui donne le rythme. Les autres rameurs doivent le suivre et voguer a tempo. Le sixième rameur, perché à l’arrière, est le popiere. Son rôle, c’est de gérer les manœuvres et d’orienter la barque. Quand il parle, on se tait et on l’écoute. Nous sommes huit, un remplaçant s’installera à la proue, l’autre, à la poupe. On décide que je ramerai jusqu’à la ligne d’arrivée, où je laisserai ma place pour pouvoir faire des photos.

Le temps presse. Il faut descendre le Grand Canal pour rejoindre la ligne de départ. Je prends ma place, à la quatrième rame. C’est parti, le provin s’élance et on le suit, comme on peut. Autour de nous, passent des embarcations parfaites, voguant en harmonie. Mon cœur s’emballe, nous passons sous le pont de l’Accademia, face à nous, la Salute, il y a de plus en plus de barques, tout est beau je crois que je pourrais pleurer.

Viva el Leon!

A peine arrivés sur la ligne de départ, la course commence déjà. Le moment est unique, spectaculaire : d’un côté, la Pointe de la Douane, de l’autre, le Palais des Doges. Au milieu, c’est tout un peuple de barques qui s’élance. Deux cent cinquante bateaux. Caorlina, sandolo, topo, mascareta, schiopon, à chaque forme correspond un nom. On vogue à deux, à trois, à six, à dix-huit, tout seul, à une ou deux rames, à dix ou quatre-vingt ans, mais on vogue debout.

Malgré l’effort, d’une barque à l’autre, on se salue, on se reconnaît. On se complimente, on s’encourage. « Viva el Leon! », crie un gondolier, fier de l’animal totem de sa ville, le Lion de Saint-Marc.

Le raccourci

Assise à la proue, j’en prend plein la vue. Je me tasse à l’avant du bateau pour ne pas gêner le provin, que j’entends grommeler entre ses dents tous les noms d’oiseaux que compte le dialecte vénitien. L’effort est intense, et notre équipage indiscipliné. Arrivés à la hauteur de l’île de la Certosa, notre bateau sort du cortège et hop, se faufile dans l’Arsenale.

Vogalonga entrée arsenale

Les autres barques, elles, mettent le cap vers la lagune. Nous, on s’amarre à l’intérieur de l’Arsenal, une zone militaire habituellement interdite, protégée par un mur percé d’une porte d’eau. « On n’a pas les bras ! », lance un membre de notre équipage aux organisateurs qui nous expliquent qu’on s’est trompés. Car le plan était clair depuis le début : pour pouvoir participer malgré notre manque d’entrainement, nous avions établi de prendre un raccourci, portant le parcours total, retour au chantier naval compris, à 14 km au lieu de 20.

La merenda

Il est 11h, l’heure de la merenda, le goûter. On débouche le prosecco, on sort les panini. C’est la fête, on l’a bien mérité. Non loin de là, dans un entrepôt énorme, gît un morceau reconstitué du Bucintoro. Cette barque d’apparat, de 34,8 m de long pour 7,3 mètres de large, transportait le Doge et les notables vénitiens lors de la fête de la Sensa. En mordant dans une part de cake, je pense aux 168 rameurs qui composaient l’équipage de ce mastodonte. Soudain, par la porte d’eau, apparaît un kayak. Un kayak ? On appelle l’intrus, qui s’approche de notre ponton. C’est un journaliste allemand, qui couvre la manifestation. Pas rancuniers, on lui offre à boire et un morceau de parmesan.

« J’ai pas réussi à finir le parcours », déclare-t-il après une gorgée de prosecco. « J’ai eu le covid cet hiver, mes poumons ont pris un coup ». Mais notre discussion est interrompue par l’irruption du premier bateau. Une flèche, verte, superbe, trace son sillon sur les eaux calmes du bassin. Nous restons encore un peu à regarder les barques passer, applaudissant les valeureux rameurs et rameuses. Puis notre équipe lève le camp.

vogalonga 2021 Venise

Je reprends place à la rame n°4, nous sommes partis. Sur le pont de l’Arsenal, il y a foule malgré l’interdiction de se rassembler. Les applaudissements et les cris d’encouragement pleuvent. Je suis émue, même si le soleil commence à taper sur ma gueule de bois, peu importe. Le moment est unique, il nous donne des ailes. Le temps d’un instant, et déjà, la ligne d’arrivée, la régate terminée, et le Grand Canal à nouveau que l’on remonte pour retourner au chantier.

Vogalonga, à l’année prochaine ! Je reviendrai, et cette fois, mieux préparée, et avec une bonne nuit de sommeil derrière moi.

Grazie a Silvio, Giulio, Angela, Silvia, Daniele, Elena, Roberto e Gianpaolo per la loro gentilezza e per l’opportunità !

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