J’ai rencontré Roberto Tassan lors de la vogalonga, en mai 2021. Né à Venise, où il habite la majeure partie de l’année, c’est un vrai curieux, passionné de sa ville. Quand il m’a proposé de traduire et de publier quatre promenades vénitiennes, j’ai accepté sans hésiter. Dans les pas de Roberto, on arpente lentement les rues de Venise, les yeux grands ouverts comme si on y était.
Texte original en italien : Roberto Tassan
Traduction et adaptation : Lucie Tournebize
Le texte en italien a été maintenu pour les lecteurs et lectrices de ce blog qui parlent les deux langues ou apprennent l’une des deux.
Le « je » du texte est donc celui de l’auteur d’origine, Roberto Tassan.
Promenade à Venise, autour de San Nicolò dei Mendicoli
Entrée dans le quartier de Santa Marta
Depuis Piazzale Roma, si l’on tourne à la hauteur de la prison de Santa Maria Maggiore – surnommée avec facétie par les vénitiens Santa Maria che te tegno, « Sainte Marie je-te-tiens » – on se retrouve face à un pont en bois à la forme étrangement incurvée, insolite dans le paysage vénitien. Franchissons-le, pour pénétrer dans le quartier populaire de Santa Marta.
Se venite da Piazzale Roma e girate, all’altezza delle Carceri Veneziane di Santa Maria Maggiore – che i veneziani chiamano scherzosamente nel loro bel dialetto “Santa Maria che te tegno” vale a dire “Santa Maria che ti tengo” – vi troverete davanti ad un ponte di legno dalla linea curva, del tutto anomalo rispetto alla struttura usuale dei ponti veneziani. State per entrare nel popolare quartiere di Santa Marta.
Le couvent des Teresie
Sur la gauche, à peine passé le pont, on remarque une imposante construction, récemment rénovée. C’est l’ancien dortoir public des Teresie, autrefois église et couvent de Santa Teresa, important bâtiment du XVIIe siècle qui accueillait, il y a encore quelques décennies, les pauvres et les sans-abri pour la nuit.
Immediatamente dopo il ponte, sulla sinistra, si può notare un’imponente costruzione restaurata in anni recenti. È l’ex dormitorio pubblico delle Teresie, già chiesa e convento di Santa Teresa, un’ampia costruzione seicentesca che, fino a pochi decenni or sono fungeva da ricovero notturno per poveri e senza tetto.
Sans franchir le canal, observez l’ancien couvent de loin, avant de tourner à gauche puis à droite sur le quai, pour rejoindre la Fondamenta di San Nicolò.
Non attraversate il ponte ma limitatevi a guardare da lontano le “Teresie”. Girate a sinistra per la fondamenta che costeggia il canale e quindi a destra, lungo la fondamenta (riva) di San Nicolò.
De l’autre côté du canal, sur la droite, on retrouve la silhouette des Teresie, tandis que sur la gauche, apparaissent les anciennes maisons des pêcheurs, autrefois baptisés « Nicolotti », témoignage de l’architecture populaire vénitienne. Ici aussi, d’importants travaux de restauration ont été entrepris, dont une opération particulièrement complexe : le rehaussement de plus de cinquante centimètres du quai et de l’édifice entier, à l’aide de vérins hydrauliques.
A destra, oltre il canale, potete ammirare la parte posteriore delle Teresie mentre alla vostra sinistra, lungo la fondamenta di San Nicolò, che termina all’altezza dell’entrata principale della chiesa, potrete vedere un reperto storico dell’architettura popolare: le antiche case dei pescatori, chiamati un tempo “Nicolotti”, edificate in un unico blocco. Anche questa costruzione ha subito importanti lavori di ristrutturazione e, soprattutto, un intervento ingegneristico di notevole importanza e complessità: l’innalzamento delle sue fondamenta e dell’intera costruzione di circa cinquanta centimetri, realizzato grazie all’inserimento di numerosi martinetti idraulici.
Sur le territoire des Nicolotti
Nous voilà à présent dans l’un des quartiers populaires les plus fascinants de Venise. Autrefois, le territoire appartenait à la faction des Nicolotti, qui a joué un rôle de premier plan dans la vie publique de la République de Venise, jusqu’à sa chute provoquée par l’arrivée de Napoléon.
Ci troviamo ora in una delle zone più affascinanti, ancorché popolari, di Venezia. La zona fu la sede di una fazione di grande importanza nella vita pubblica della Repubblica Serenissima, almeno fino al periodo della sua caduta, attribuita alla politica espansionistica napoleonica: i Nicolotti.
Les Nicolotti, dont le blason arborait un lion ailé et une colonne, étaient représentés par un « Gastaldo », sorte de « doge des Nicolotti » élu par le peuple [uniquement par les hommes, ndlr] pour représenter les pêcheurs du quartier. Lors des cérémonies publiques, il avait pour privilège de porter un veste de velours et d’étoffe écarlate, une perruque et un chapeau de gentilhomme. Au lendemain de son élection, le Doge de la Sérénissime République de Venise le recevait pour lui donner l’accolade sous les yeux de la foule poussant des clameurs.
I Nicolotti, il cui stendardo era decorato con una colonna ed un leone alato, erano rappresentati da un “Gastaldo” o doge dei Nicolotti, capo dei pescatori della contrada ed eletto dal popolo. Egli aveva il privilegio di indossare, durante le cerimonie pubbliche, una veste di raso e di panno scarlatto con parrucca ed il berretto da gentiluomo. Il giorno successivo all’elezione aveva anche un altro grande onore riservato a pochi: quello di esser ricevuto dal Doge, accompagnato da una grande folla acclamante e di essere da questi abbracciato.
Petit pont, baston
Comme toute faction qui se respecte, les Nicolotti avaient leurs ennemis : les Castellani, habitants du quartiers de Castello. Les rivaux se rencontraient pour s’affronter sur certains ponts, dépourvus de rambardes, lors de violentes bagarres, dites « battagliole dei pugni ». Les adversaires se démenaient alors pour faire précipiter leurs opposants dans le canal, sous le pont.
I Nicolotti, come ogni fazione che si rispetti, avevano i loro nemici rappresentati dai Castellani (abitanti del popoloso rione di Castello), con i quali intraprendevano furibonde risse denominate “battagliole dei pugni”, combattute sopra alcuni ponti privi delle bande laterali. Durante questi scontri i popolani delle opposte fazioni se le suonavano di santa ragione nel tentativo di gettare in acqua gli avversari.
L’un des théâtres de ces batailles s’appelle justement le Ponte dei Pugni (pont des poings) : aux quatre coins du pont, on peut voir dessinée dans le marbre la forme d’un pied humain. Après tout, nos ancêtres n’avaient pas les films violents ou les matchs de foot (heureusement pour eux, ou non, à vous de voir) pour se décharger de leur trop plein d’agressivité devaient bien chercher un palliatif pour se défouler !
Uno dei teatri di queste battaglie, sopra il quale, ai suoi angoli, si possono notare quattro impronte in pietra di piedi umani, è il Ponte dei Pugni. Del resto i nostri progenitori, che non avevano la possibilità di scaricare la loro aggressività in eccesso mediante la visione di spettacoli violenti in TV o delle partite di calcio (non siamo in grado di dire se per fortuna o sfortuna!), avevano trovato utile cimentarsi in questa attività sostitutiva!
Les mystères de San Nicolò dei Mendicoli
Sur le quai, contre les vieilles maisons des pêcheurs des Nicolotti, l’église de San Nicolò dei Mendicoli s’érige. Son nom pourrait dériver de Mendigola, du nom de l’îlot ou elle se trouve, mais il s’agit plus probablement d’une construction dialectale sur le substantif de « mendicanti » ou « mendici », en français « mendiants ».
Adiacente alle abitazioni dei Nicolotti si affaccia la chiesa di San Nicolò dei Mendicoli. Il nome potrebbe derivare dall’antico nome dell’isola – Mendigola – oppure, più probabilmente, essere una corruzione dialettale del sostantivo “mendicanti” o “mendici”.
Il y a des années, le vieux curé de la paroisse me confessait que selon lui, la construction de l’église serait antérieure au VIe siècle, soit avant même la fondation officielle de la ville. Cependant, cette idée, qui s’appuie sur la présence de fresques paléochrétiennes derrière l’autel principal, a été par la suite abandonnée par ses successeurs.
Il vecchio parroco di San Nicolò, da me lungamente interrogato in anni lontani, riteneva che la chiesa di San Nicolò fosse stata edificata non più tardi del sesto secolo d.C., e quindi in epoca precedente alla data della fondazione ufficiale della città. Aggiungo che questa tesi, supportata da alcuni affreschi di origine paleocristiana, posti nella parete dietro all’altare principale, è stata abbandonata dai suoi successori.
L’arrière de l’église est encore agrémenté d’un portique du XVe siècle, peut -être l’un des derniers témoignages restant de ces lieux qui, à Venise, abritaient les pinzochere, femmes pauvres qui réalisaient de petits travaux de couture et vivaient de la charité. Au dessus, se dresse depuis le XIIIe siècle un campanile vénéto-byzantin de forme carrée. L’église, elle, fut rénovée à la même époque en style roman, divisée en trois nefs, puis remaniée au XVe siècle. L’intérieur est décoré de nombreuses toiles de l’école de Véronèse.
Sulla parte anteriore la chiesa è abbellita da un portico quattrocentesco a pilastri, uno dei pochi o forse l’unico rimasto, delle chiese venete, che ospitava le “pinzochere”, donne molto povere che facevano piccoli lavori di cucito e, perlopiù vivevano di carità. Il campanile, risalente al tredicesimo secolo, è quadrato in stile veneto-bizantino. La chiesa, che riceve luce da due lati, fu rifatta nello stesso periodo con una struttura romanica a tre navate e rimaneggiata nel quindicesimo secolo. I numerosi dipinti sono della scuola del Veronese.
La place des singes
Si on longe l’église sur le côté droit, on parvient à une petite place (dite campiello en dialecte) bordée par un vieux mur d’enceinte. Sur la gauche, au delà du mur, une maison a deux étages accueillait, jusqu’à il n’y a pas si longtemps, une importante colonnie de singes. Si on quitte la place par la Fondamenta Lizza Fusina, on arrive aux Zattere, ce long quai qui borde le quartier de Dorsoduro par le sud.
Costeggiando la chiesa sul lato destro si accede ad un piccolo ma caratteristico campiello delimitato da un vecchio muro di cinta ed alla Fondamenta Lizza Fusina che conduce alle Zattere. Fino ad alcuni anni or sono la casa a due piani, posta sulla sinistra, dietro il muro di cinta, ospitava una nutrita comunità di scimmie.
En fin de journée, dans la lumière du crépuscule, le lieux se nimbe d’une aura fantasmatique, onirique et mystérieuse, encore renforcée lorsque tombe sur la ville le brouillard de novembre.
Il finire del giorno e la luce crepuscolare donano al sito una luce fantasmatica, onirica, misteriosa. E tale felice condizione accresce ulteriormente il suo fascino quando su questa città magica calano le nebbie novembrine.
Essayez de vous positionner au centre de la place, sur le point central d’un triangle imaginaire, formé par le campanile, le portique et l’entrée principale de l’église, pour vous plonger dans l’atmosphère magique que seule Venise sait offrir.
Potete porvi al centro del campiello, nel punto centrale di un immaginario triangolo che ha i suoi vertici nel campanile, nel portico delle pinzochere e nell’entrata principale della chiesa ed assaporare questa atmosfera magica che solo Venezia sa donare.
La solitude et le silence facilitant la réflexion et la contemplation, nous laissons les voix du passé nous parvenir. On peut alors entendre les mélodies d’autrefois, renvoyées par les pierres, les briques et le marbres, comme un écho lointain. Ils nous racontent l’histoire d’une ville qui a su conjuguer la beauté de l’art à l’élément acquatique de la mer, qui unit entre eux tous les hommes. Parce que Venise repose et navigue sur les eaux.
La solitudine e il silenzio inducono alla riflessione ed alla contemplazione. Potete ascoltare le voci del passato e della seduzione del tempo antico. E potete percepire le musiche suonate nel passato, rimandate come un eco, dalle antiche pietre, dai marmi e dai mattoni. Che sanno raccontarci la storia. Di una città che ha saputo coniugare il bello dell’arte a quell’elemento che unisce tutti gli uomini, il mare. Perché Venezia è adagiata sul mare e naviga sul mare.
Finir en poésie
Pour conclure cette promenade onirique, lisons quelques vers tirés d’un poème vénitien de Jaroslav Seifert, prix Nobel de littérature, intitulé « Une fin ».
Leggiamo, per concludere questa passeggiata magica, alcuni versi estrapolati da una poesia intitolata “Una fine”, del grande poeta boemo Jaroslav Seifert, premio Nobel per la letteratura, che l’autore ha ambientato a Venezia:
Un tempo lontano fui vago, ebbro di vento,
guardavo l’orizzonte fuggire
da quella strana città che galleggia sull’acqua
come un cappello con le piume di struzzo
trasportato dalla corrente.
[…]
Il campanile batteva le dieci
sopra quella città
che ha le mura impastate di malta,
amalgamata con i suoni di mille canzoni.
Chers lecteurs et lectrices francophones, n’ayant pas trouvé de traduction de ce texte, je vais essayer d’en retranscrire le sens en français. La traduction littéraire étant un exercice difficile, je vous prie de considérer ma proposition comme une simple tentative, et de la lire avec indulgence.
Il y a longtemps, je fus vague, ivre de vent,
Je regardais l’horizon qui fuyait
Cette étrange cité flottant sur les eaux
Comme un chapeau aux plumes d’autruche
Porté par le courant.
[…]
Le campanile sonnait dix heures
Au dessus de cette ville
Aux murs pétris de mortier,
Amalgamés du son de mille chansons.
Merci d’avoir suivi cette promenade qui n’est que le premier épisode d’une série de quatre. A bientôt pour la suite !
Très jolie balade, merci !
Pour la poésie, j’aurais traduit :
Il y a longtemps, je fus errant, ivre de vent,
je regardais l’horizon fuyant
de cette étrange ville qui flotte sur l’eau
comme un chapeau avec ses plumes d’autruche
emporté par le courant…
En effet, merci de l’avoir souligné, j’avais lu ebreo à la place de ebbro!
Superbe promenade, nous la ferons lors de notre séjour à venise fin avril 2022