Photo de couverture : vue par la fenêtre d’un train régional en Calabre, été 2020.
Le train est très à la mode en ce moment. Livres, articles et réouvertures de lignes témoignent de ce regain d’intérêt pour ce qui ne semblait être qu’un moyen de transport comme un autre il y a peu. Une bonne nouvelle qui ne doit pas nous faire oublier que le train devrait rester un moyen de transport populaire.
Depuis que je m’intéresse de façon approfondie aux trains – c’est-à-dire depuis que j’ai écrit l’Italie en train – j’ai pu noter un enthousiasme croissant vers ce mode de transport. Je participe bien sûr à nourrir cet engouement qui m’enchante. Dans cet article, je tenais à revenir sur cette tendance et à m’exprimer ce que le voyage en train devrait être, selon moi.
Voyages en circuit-court
La pandémie de covid-19 a réduit le terrain de jeu des touristes, n’ayant plus la possibilité de voyager à l’autre bout du monde. Critiquer ce modèle touristique basé sur des séjours brefs et nombreux en avion est alors devenu moins radical. Là où les adversaires de l’avion passaient avant la pandémie pour d’insupportables troubles-fêtes, d’un seul coup, au printemps 2020, tout le monde s’est mis à louer un tourisme lent et local. Soudain, on pouvait dire qu’on préférait le train, voire qu’on adorait ça, sans passer pour un ringard.
Après une série de confinements assez traumatisants à de nombreux titres, je suis convaincue que ce désir de lenteur est authentique. Dans un monde où le virus distille l’incertitude, voyager loin est moins séduisant. Le train est alors un moyen rassurant de partir en vacances. Il nous rappelle de bons souvenirs et nous invite à nous réapproprier notre temps.
A mon sens, tout ceci est très positif. D’abord, parce que nous avons pu remettre en question un modèle touristique très consumériste, qui génère un tourisme de masse délétère pour l’environnement et le quotidien des habitants et habitantes des destinations touristiques.
Ensuite, parce que cette invitation à repenser notre rapport au monde peut, selon moi, nous amener à mieux l’habiter. Si la distance s’amenuise entre le lieu où l’on vit et celui où l’on part en vacances, on est amené à prendre plus soin de cet espace.
Quand le train devient cool
Si cette mode est d’abord une bonne nouvelle, je crois qu’il ne faut pas perdre de vue que le train est avant tout un moyen de transport pour tous et toutes. Ou du moins qu’il devrait l’être.
Récemment, on a pu notamment se réjouir longuement du retour annoncé du train de nuit Paris-Venise. En effet, le service assuré par la compagnie Thello n’a pas survécu à l’arrivée du Covid. Le protocole sanitaire, strict à bord des trains, semble avoir eu raison de la ligne nocturne dont les prix démarraient à 35€.
Une compagnie privée, nommée Midnight trains, souhaite « réenchanter les trains de nuit en Europe » via le lancement de plusieurs lignes en Europe, dont le Paris-Venise. Pour cela, la compagnie offrira à ses clients des services dignes de ceux d’un hôtel : chambre et salle de bains privatives, literie haut de gamme et restaurant fancy à bord. Pour le moment, les prix ne sont pas connus. Mais on peut déjà imaginer qu’ils seront proportionnels à la qualité des services, donc plutôt haut de gamme.
On a aussi beaucoup parlé de la nouvelle version de l’Orient-Express, baptisée Dolce Vita. Un train de luxe mythique, qui revient habillé d’un nouveau look à l’inspiration follement vintage, imaginé par le duo de designer Dimorestudio. Au programme, plusieurs offres pour parcourir le Sud, le Centre ou le Nord de l’Italie, voire s’échapper de Paris à Split en passant par les Dolomites, avec un service digne d’un 5 étoiles. Ici aussi, les tarifs ne sont pas encore connus. On peut imaginer qu’ils seront du même ordre que ceux du Paris-Venise, actuellement vendu à environ 4.900€/pers. pour une nuit à bord.
C’est pas écolo si c’est que pour les riches
L’enthousiasme qui entoure ces deux informations nous montre bien à quel point le train nous fait rêver. Peu de voyageurs pourront se permettre de voyager avec le Dolce Vita, et les tarifs du Midnight seront très probablement prohibitifs pour les voyageurs les moins aisés. Pourtant, ces nouvelles bénéficient d’un accueil qui semble unanimement positif.
Si à chaque annonce d’une nouvelle ligne de train, même de luxe, on est ravis, c’est probablement car notre bonne conscience écolo pousse un soupir de soulagement. Enfin ! On va dans le bon sens. Demain, les cadres ne prendront plus l’avion pour se rendre à un RDV professionnel à Rome ou à Berlin. Les riches préféreront un train de luxe à l’avion pour leurs vacances exclusives. C’est déjà le cas : même l’influenceuse italienne Chiara Ferragni, habituée à publier les photos de ses voyages en jet-privé sur son profil Instagram, choisissait l’Orient Express en octobre 2021 pour se rendre à Paris.
Sauf que l’écologie ne peut pas et ne doit pas être cantonnée à un choix réservé aux riches.
Ce n’est pas un scoop : le train est aujourd’hui beaucoup trop cher pour de nombreuses personnes. Même en Italie, ou le train est moins cher qu’en France, il reste onéreux pour une partie de la population qui lui préférera le bus, l’avion ou la voiture. Quand les services sont trop chers, c’est le prix qui fait l’écologie.
Des trains, des trains, oui mais des régionaux
La mode du ferroviaire ne doit pas laisser les plus pauvres sur le quai. Elle ne devrait pas non plus oublier de s’occuper des trains régionaux.
En Italie, on trouve une grande disparité sur le réseau de trains régionaux. En effet, depuis 2000, ils sont gérés au niveau local. Selon les régions, les trains sont plus ou moins en bon état : ils sont impeccables en Vénétie et vraiment vieillots en Lombardie, par exemple.
Aussi, une partie du réseau n’est toujours pas électrifié et nécessite l’emploi de locomotives diesel. Pas terrible, pour l’écologie. L’Italie s’emploie lentement à passer à l’électricité, mais là encore, comme c’est régional, les disparités sont importantes.
Tout ça pour dire que l’attention et l’engouement pour les trains devrait inciter à l’amélioration et aux développement du train pour tous et toutes, et à l’extension des lignes nocturnes à des prix populaires. Rendez-nous le Paris-Venise à 35€, avant de nous chanter les louanges de Midnight Train, comme l’a fait le ministre des transports sur Twitter.
Des trains de nuit ? Plutôt des « hôtels sur rails », avec chambres, salles de bain et restaurant, qui relieraient Paris aux capitales européennes dès 2024.
— Jean-Baptiste Djebbari (@Djebbari_JB) June 16, 2021
C’est le pari de Midnight Trains. C’est une start-up française. Et ça donne très envie : pic.twitter.com/fnbWvxpa84
Bref : on veut de nouveaux trains, pour aller partout, et pas que des trains pour riches. C’était mon « pavé » dans la mare, merci de l’avoir lu.