Il y a ces lieux qu’on attend, qu’on espère, dont la visite est programmée, attendue. On y va parce qu’on a entendu dire que c’était merveilleux, parce que de grands auteurs en ont parlé, parce que l’art, l’histoire, la culture et les récits en ont créé une image attirante, ou parce qu’on a vu un reportage, une pub ou un article de blog attrayant.
Rome, Florence, Venise, les Cinque Terre, la Sicile : des destinations bien connues, bien vendues.
Ancone ne fait pas partie de cette catégorie. Les plus acharnés à parcourir du doigt ou de la souris la carte de l’Italie auront déjà vu son nom. Ceux qui partent pour la Grèce ou les Balkans auront peut-être fait halte dans son port.
Mais pour la plupart d’entre nous, Ancone n’est précédé d’aucun cliché, d’aucun à-priori : c’est tout simplement une ville inconnue du public.
Du moins, c’est à cette catégorie que j’appartenais la première fois que quelqu’un m’a parlé d’Ancone.
J’étais en erasmus, et un de mes premiers amis italiens m’a proposé de venir passer le weekend de Pâques dans sa famille, dans les Marches.
Il fallait, de Rome, emprunter un train traversant l’Italie par l’Appenin à destination d’un port : Ancone.
C’est comme ça que, après trois heures de voyage durant lesquelles j’eus l’occasion de voir la neige, le soleil et une tempête en mer, j’arrivais pour la première fois à Ancone.
Depuis, j’y suis retournée souvent : le nombre m’échappe. Mon premier ami est devenu un très grand ami et sa famille un peu comme la mienne.
J’écris rarement des articles sur une ville que je connais mal, où je n’aurais passé que quelques jours ou heures. Tout simplement parce que je n’y arrive pas, parce que ça sonne creux. Quand j’écris sur une ville, j’ai besoin de la connaître, d’être entrée un peu dans son intimité. Voilà pourquoi, alors que je connais Ancone depuis cinq ans, je n’en ai pas parlé plus tôt.
Aujourd’hui, avec cet article, j’ai envie de lui dédier une ode, pour chanter sa beauté et sa diversité.
Ancone est plurielle. C’est probablement pour ça qu’il m’a fallu tant de voyages pour la connaître, au moins un peu.
Ancone historique
Moins 387 avant J-C. Les Grecs de Syracuse, naviguant sur l’Adriatique, fondent la cité d’Ancone sur un promontoire dominant un vaste port naturel. Ils lui donnent le nom d’Ankon, le coude, pour sa forme incurvée protégeant la terre des tempêtes. Le village des Piceni devient cité Grecque, son littoral devient côte Dorique.
En arrivant à Ancone, le train longe la côte dorique au nord. On entre dans cette cité maritime en contemplant la mer, d’une couleur vert émeraude les jours de beau temps.
L’histoire de la ville saute aux yeux par fragments. En descendant du train, un édifice fasciste, un arc de triomphe baroque et les formes douces, au loin, d’une église romane, commencent à raconter Ancone.
Il faut marcher une quinzaine de minutes sur son lungomare pour entrer dans la vieille ville, faite de ruelles en pente raide. Observer les places, parcourir ses avenues encombrées par les câbles des tram-bus, pointer vers le haut pour trouver toujours plus de jolies petites rues, de maisons en brique d’argile ou peintes de belles couleurs dorées.
Le centre d’Ancone semble prêt à resplendir dans la lumière du tramonto, le coucher de soleil qui chaque soir met le feu à la ville.
Vers les églises d’Ancone
Les rues en escalier d’Ancone ne vous laisseront pas le choix : il vous faudra les grimper, ou rouler vers le bas pour retomber, systématiquement, sur son port. Pas de demi-mesure : soit vous êtes au port, soit vous êtes sur les hauteurs. De fil en aiguille, le tissu alambiqué du centre trace ses motifs et voilà que l’on tombe d’une église à une autre, gagnant chaque fois un panorama plus large sur la mer.
D’abord, il y a San Domenico, sur la Piazza del Plebiscito. Un énorme escalier donne à l’édifice des allures de trône. Au milieu, le Pape Clément XII contemple la ville. Il lui a permis de s’ouvrir, en construisant un axe de communication vers Rome. Il a également envoyé un de ses architectes, Vanvitelli, construire parmi les plus beaux monuments de la ville.
A deux pas de la Piazza del Papa, un autre escalier, plus raide, file vers une dentelle de marbre. San Francesco alle Scale apparaît entre les fleurs. On la voit aussi, étroite et haute, depuis la mer. Construite au XIVe siècle, sa façade est typique de nombreuses églises italiennes : le bas de l’édifice est revêtu de beaux marbres ornementés, mais la pointe reste nue, comme si le budget initial avait été absorbé par l’excès d’ornement de la partie basse.
Et puis tout en haut du mont, il y a San Ciriaco. On la voyait déjà, en arrivant au loin, dominer la ville et la mer. Formes douces, symétrie, lions de pierres figés à l’entrée, et tout autour, la mer et le soleil qui s’y écrase. Il faut encore franchir les marches du perron, admirer les sculptures de la porte et entrer dans la nef. Au sous-sol, une petite surprise est réservée aux visiteurs. A ne pas rater si vous aimez les cryptes et l’architecture.
Ancone portuaire
Ancone a le charme fascinant des ports. Mes villes préférées sont souvent au bord de la mer : on y trouve un mélange des genres, des odeurs intenses, les couleurs des filets, des poissons et des bateaux.
Je ne pouvais qu’aimer Ancone, l’un des ports les plus importants d’Italie. Ici, la surface occupée par le port est énorme, entre le coin des pêcheurs qui réparent les filets, les cargos et leur containers multicolores, les énormes ferry embarquant pour l’Albanie, la Croatie ou la Grèce et le chantier naval de la Fincantieri qui produit ses monstres marins. Au milieu, une muraille romaine où ont poussé deux arcs de triomphe, porte jusqu’à la Lanterna Rossa, un petit phare rouge au bout du port.
Le port d’Ancone, surtout, est un port vivant, où passent ceux qui y travaillent comme les habitants de la ville.
On peut aller y manger dans l’un des restaurants de dockers où il n’y a pas de carte, juste un menu énoncé à voix haute, selon la pêche.
On vient y faire une promenade sur la muraille, pour admirer la ville au soleil couchant.
On s’y rend pour l’aperitivo, pour boire un spritz incendié de soleil au bord d’un bassin.
On y fait des concerts, des festivals, de la musique qui se mêle à ses bruits de ports.
On y voit des fresques géantes sur les silos.
Bref, le port d’Ancone est un microcosme, une ville dans la ville, vibrant d’activité et de vie.
La vie des grottini
Mais la première chose que j’ai connue d’Ancone, ce sont ses Grottini.
Contexte. Imaginez la côte sud d’Ancone. Un vaste pan montagneux qui s’étend jusqu’à sa réserve naturelle, le Conero, une montagne qui domine la région. Raides, ses versants se jettent dans la mer, cachant même la ville aux bateaux qui arrivent du large. Des sentiers en escaliers permettent d’accéder aux plages de rochers aux eaux peu profondes.
Maintenant, imaginez-vous que vous êtes un pêcheur, et que chaque jour, vous devez descendre pour aller plonger vos filets. Pour gagnez un peu en commodité, dans cet environnement qui laisse peu de place aux activités humaines, vous vous creusez une grotte. Vous attaquez à la pioche la pierre argileuse, afin de former une cavité profonde d’environ 7 à 10 mètres, large de 2 à 5 mètres. Puis vous cimentez le tout, et fermez votre grotte d’un portail. Vous avez créé un grottino. Le lieux idéal pour laisser votre barque, vos filets et vos outils de travail. En face de vous, l’étendue immense de la mer, un monde de rochers où vivent crabes, moules, calamars.
Les grottini les plus accessibles, et les plus connus, sont situés presqu’en ville. On parcourt une longue avenue, le Viale della Vittoria, et on arrive au Monumento ai Caduti, une arche énorme. Ici, un escalier monumental porte à la plage du Passetto, la première zone des grottini. Vu de la mer, l’ensemble, inauguré par les fascistes dans les années 30, prend la forme d’un aigle.
Aujourd’hui, les grottini ne servent plus au pêcheurs. Les anconetans s’y installent pour l’été.
Cuisines, toilettes et même lits ont été arrangés à l’intérieur de ces espaces exigus.
Devant leurs grottes, les plus vieux jouent aux cartes, les jeunes courent plonger dans la mer, des odeurs de sauce tomates aux moules remplissent l’atmosphère.
Sur les rochers, les jeunes nettoient leur pêche : ils sont allés chercher, en apnée, les moules sauvages qu’on ne trouve qu’à Ancone, I Moscioli.
Comme me l’ont dit les habitants des grottini : les Moscioli, c’est une religion civile. Ici, tout le monde en parle. Sur quels rochers les pêcher, si on va les cuisiner en sauce ou au poivre, on se prête les filets, râteaux, couteaux pour les nettoyer. On compare ses blessures : l’ortie de mer, qui pousse sur les même rochers, brûle les bras des pêcheurs.
J’aime les grottini parce qu’ils représentent une façon de vivre la mer à l’italienne. L’été, en Italie, tout le monde va « al mare ». C’est l’activité principale, on y passe des journées entières, sur le sable ou sous l’ombrelone. Et si les côte italiennes nous ont habitués à des files interminables de chaises longues et de plages privatisées, les grottes d’Ancone renouent avec une vie à la mer plus sauvage.
Cette ode à Ancone s’arrête là. J’espère avoir su exalter cette si belle ville, et vous avoir donné envie de la connaître.
Je suis curieuse, avez-vous déjà :
- entendu parlé d’Ancone ?
- visité Ancone ?
- embarqué au port d’Ancone ?
- aucun des trois ?
Je vous laisse avec les commentaires pour répondre, si vous le souhaitez, à cette petite question.
A lire également : toutes les infos pratiques et bonnes adresses pour visiter Ancone !
Ou pour organiser votre voyage, le site de l’Office de Tourisme.
Oh bah ca donne envie ces petite grottes!
Bon si je devais bloguer que sur les villes que je connais j’aurai trop peur que ça se limite à Paris, mais c’est toujours aussi agréable de voir combien tu maîtrises tes sujets et l’ambiance que tu veux faire passer dans tes posts.
Disons que c’est aussi un désavantage : si je n’ai passé que quelque jours dans un lieu, la plupart du temps, j’ai la sensation de n’avoir rien à en dire. Et ça me bloque pour écrire ! Pourtant, je trouve tout à fait possible (et intéressant si c’est bien écrit) de partager ses sensations de voyageur de passage sans avoir besoin de connaître forcément le lieu à fond. Mais ça dépend aussi de ce que j’ai fait sur place, et de l’intensité de la visite. Souvent, comme je sais que je reviendrais, je me permets de ne pas faire grand chose et de ne pas tout voir. Merci pour ton commentaire en tous cas 🙂
Je n’avais jamais entendu parler de cette ville mais en te lisant je m’imagine très bien la visiter et surtout séjourner dans une grotte pour quelques jours de farniente !
La difficulté du séjour dans la grotte c’est qu’il faut devenir copain avec un « grotarolo » ^^
Mais rien n’est impossible 😀
Apparemment quand le soleil est à peine sorti ce n’est pas si lumineux que ça l’aube ^^ En effet ça a l’air d’être une ville charmante ! Aucun apriori de mon côté non plus mais ça a l’air d’être une ville charmante 🙂
Oui, j’étais surprise aussi, je n’arrêtais pas de me dire « Mais on dirait un coucher de soleil l’aube en fait », jusqu’à ce que le soleil sorte et que la lumière change, devienne orangée. C’était splendide !
Merci Lucie, tu as dressé un autre très beau tableau d’un lieu inconnu de l’Italie.
J’avais entendue parler d’Ancône, oui, mais je n’ai jamais été là-bas et j’avoue que je ne savais absolument rien des moscioli et – pire ! – des grottini (que les anconitains mes pardonnent ! Fautes d’un « tyrrhénien » radical, nourri de Ligure et Sardaigne…).
Surtout l’histoire des grottini et de leur intégration à l’environnement marin, dont justemetn les moscioli, je les ai trouvées très intéressantes, ça ne me surprend pas que le mouvement slow food y ait consacré des rapports.
Prochaine étape de voyageur, alors, si le régime de vacances étasuniennes le permit, une nuit dans les grottini. Décidé.
Un autre truc m’a frappé en lisant ton billet. Tant tu décris tes préférences, tant plus je crois tu aimerais beaucoup ma ville natale : Gênes.
Ancône et Gênes partagent beaucoup, au-delà de l’évidence d’être les deux des villes de port, en particulier l’intégration très étroite entre les montagnes et la mer, et l’immense, labyrinthique centre historique de Gênes, je pense, présentera un bon cible pour ta curiosité exploratrice.
Merci Dario pour ton commentaire très intéressant. Justement, en parcourant Ancone ces derniers jours, je pensais à Gênes, que je ne connais pas, et je me suis rendu compte que je l’imaginais un peu pareil, l’atmosphère de port, les rues étroites et en pente raide… C’est une ville que je veux décidément découvrir !
Ca me ferait plaisir de voir un jour « La Superbe » décrite par l’Occhio di Lucie !
L’agréable effet un peu « petite ville » d’Ancône pourrait parfois manquer à Gênes et les génois, au debout, ne sont pas forcément les gens les plus chaleureux du monde, car ils sont plutôt réservés, mais je pense que tu n’en serais pas déçue !
Une belle représentation de Gênes a été récemment publiée par le New York Times https://www.nytimes.com/2017/04/25/travel/genoa-italy-charm-alternative-rome-florence-venice.html
J’espère avoir l’opportunité d’y aller l’année prochaine ! Merci pour les liens 🙂
Je n’avais jamais entendu parler de cette ville (pourtant je me suis pas mal intéressée à l’Italie plus jeune, entre le latin et les cours d’italien) et quel dommage ! mais finalement ça contraste vraiment avec tes articles sur Venise !
Oui c’est des villes très différentes, que j’aime parce qu’elle font résonner des choses différentes en moi. Si tu as l’occasion de faire un voyage en Italie je te conseille un tour dans les Marches ! Mais bon, pour le moment, ça fait un peu loin, c’est sûr 🙂
Voilà une ville italienne que je ne connais pas encore et qui m’intrigue depuis longtemps ! Il faut vraiment que j’y aille faire un tour 😉 ton article me donne encore plus envie d’y aller !
Merci Chloé ! Je te souhaite de la découvrir bientôt