Zona rossa, lockdown… un an de vocabulaire pandémique

Zona rossa, lockdown… un an de vocabulaire pandémique

Il y a maintenant un peu plus d’un an, l’Italie entrait en quarantena. De son côté, la France confinait. Le lockdown s’abattait sur nos printemps. Enfermée et confuse, je me demandais autant ce qu’il était en train de se passer que comment en parler.

Au delà du masque, la mascherina, toujours plus sympathique grâce à son suffixe en ina, des gestes barrières, il distanziamento sociale, tout un vocabulaire est né pour décrire ce que nous vivons, collectivement ou individuellement. Mais difficile de s’accorder sur le sens que nous donnons à ces mots d’un pays à l’autre. Voire même au sein d’un même pays : que comprenons-nous quand nous passons en zone rouge ? Quand on nous interdit la bamboche ? Quand apparaît le « couvre-feu » ?

Ici, quand je tente d’évoquer avec mes ami·es ce qui se passe dans mon pays natal, des mots comme zone rouge écarlate (zona rossa scarlatina?) sonnent faux dans ma bouche. Raconter ce que nous vivons sur le plan sanitaire de part et d’autre de la frontière est devenu difficile car un vocabulaire commun peine à se définir. La France parle de départements confinés, dans lesquels il faudrait néanmoins passer le plus de temps possible dehors. De leur côté, les italien·nes en zone jaune vont au bar jusqu’à 18h mais ont interdiction de quitter leur région. Dans un monde où les slogans et les hashtags régissent nos vies, on cultive le goût de la simplification. A chaque urgence son mot dièse, à chaque vécu, son raccourci : #lockdown #confinement #zonarossa #iorestoacasa #dedansaveclesmiens #dehorsaveclechien #euh?…

Au final, ce que révèle cette profusion de mots nouveaux, d’emplois inédits et de slogans en tous genres, c’est bien que nous sommes confus face à la difficulté de dire une réalité qui continue de nous dépasser. Mais passons en revue, côté italien, cette vague lexicale.

Petit précis de vocabulaire pandémique italien

Enfin, précis, pas vraiment, mais j’aime bien ce titre.

Toutes les couleurs de l’urgence

zona rossa

Au printemps 2020, tout s’arrête. Même si déjà, les mots diffèrent (quarantena, lockdown, confinement), une même ambiance faite d’immobilité, de souffles retenus et de silence s’empare d’une grande partie de l’Europe. C’est à partir de la deuxième vague que chaque pays se met à mener une politique différente, et que tout se complique en termes de communication. Entre les médias français qui narrent la vie de patachon des italiens en zone jaune, et les images de la France qui confine, mais garde ses écoles grandes ouvertes et ses trains potentiellement occupés à 100%, il devient de plus en plus difficile de comprendre quelle réalité se cache derrière les mots.

Lockdown, smartworking, le virus anglais

Comme pour souligner que la situation nous échappe – à tel point qu’on a besoin d’une langue étrangère pour la décrire – les italien·nes adoptent massivement l’anglais. Pendant le lockdown, le jeune millenial bosse en smartworking et boulotte des panini take away devant son computer. Bien entendu, quand il rend visite à sa grand-mère, qui ne sait toujours pas faire ses courses online, il garde son masque pour éviter les droplet. Lorsqu’il va au supermarché, il paie cashless pour éviter les contacts, en espérant que le recovery plan du gouvernement n’oubliera pas les freelance car il aurait bien besoin d’un coup de pouce. D’ailleurs, cet été, c’est staycation, pas question de partir en Sardaigne ou dans les Pouilles, il n’a plus un rond, le delivery l’a ruiné.

Cette profusion d’anglicismes a été analysée sur son blog par l’auteur et linguiste Antonio Zoppetti, qui souligne comment le vocabulaire pandémique italien est surtout fait d’anglicismes. Boring, non ? Même Mario Draghi est saoulé.

Les jeux sont faits : la lotteria degli scontrini

Pendant que les USA investissent pratiquement l’équivalent du PIB de l’Italie dans un plan de relance en béton, le gouvernement Conte, et après lui celui de Draghi, lance la lotteria degli scontrini. Un loto auquel on peut participer grâce aux tickets de caisse, à condition de payer en carte. Comme si travailler 40h par semaine, s’occuper de la vie domestique et des diverses questions administratives pénibles ne suffisait pas, les italien·nes peuvent maintenant s’amuser à scanner leurs tickets de caisse pour espérer gagner entre 25.000 et 5.000.000 €. Ben oui, pourquoi créer des aides sociales quand on peut laisser le hasard régler les choses ? Certes, l’opération vise à favoriser les paiements traçables, et donc à minimiser l’évasion fiscale. Mais ça me donne plutôt l’impression qu’il faut accepter que dans la vie, tout est question de chance, pas d’égalité.

vocabulaire pandémique
« et là Conte a dit « En Italie, on fait le loto des tickets de caisse ! »

Dad, mum et congiunti

J’ai passé la majorité du premier confinement seule, chez moi. Alors je ne peux qu’imaginer ce qui s’est passé pour les parents, soudain en charge de la scolarité de leurs enfants. Branchés sur la DAD (didattica a distanza – école à distance), les enfants ont pu suivre les cours de loin. Une réorganisation de la scolarité qui a bien plus impliqué les mum, les mamme, que les dad, les papà, comme l’ont ironiquement soulignés beaucoup de mères à bout. Giulia Pastori, de l’université Bicocca de Milan, a démontré lors d’une étude que les mères ont consacré 4h en moyenne à la DAD chaque jour lors du premier lockdown.

vocabulaire pandémique

Au delà de cette répartition des rôles parentaux, un autre terme a marqué la fin du confinement du printemps 2020 : i congiunti. Ou comment un décret ministériel s’est introduit dans nos relations intimes pour en redessiner les contours. Qui sont les congiunti ? Même Repubblica s’est posé la question. Il s’agirait, selon la version donnée par le gouvernement, de « rapports de parenté » ou de « relations affectives stables », pas de ses amis, que l’ont était autorisé à retrouver à partir du 4 mai 2020.

Attestation versus autocertificazione

Pour vous expliquer la différence culturelle autour de l’emploi des attestations de sortie, laissez-moi vous raconter cette anecdote. Un jour de zone rouge, mon compagnon italien et moi devons prendre les transports en commun. Peu importe pourquoi, le motif est impérieux et justifiable. Alors que je suis en train d’enfiler mes chaussures, je lui demande :

– On remplit l’autocertificazione avant de partir ?
– T’inquiètes, j’en ai plusieurs.
– Ah, super, donnes-les moi, je vais les remplir.
– Pourquoi faire ?
– Comment ça pourquoi faire ? C’est le but non ?
– Ben on va pas les remplir si personne ne nous contrôle.
– Je croyais que ça servait justement à se justifier en cas de contrôle…
– On les remplira avec la police.
– Mais ? Autant partir sans, alors.
– Comme ça, on est de bonne volonté, on a les attestations.
– Vides ?
– Ben oui on va quand même pas les remplir pour rien.

Cet échange déconcertant – pour moi – montre à quel point français et italiens ont un rapport différents aux règles. Ici, depuis le début de la crise sanitaire, l’attestation n’est pas vraiment obligatoire. Enfin si, elle l’est. Mais virtuellement. Il faut avoir une attestation, d’accord. La police a des attestations vierges, hum ? Et qui fait les contrôles ? La police. Donc être contrôlé c’est avoir une attestation. Il n’y a plus qu’à la remplir. Avec les flics. Le plus étonnant, c’est que ce raisonnement est partagé par les forces de l’ordre. Des policiers, à qui j’avais posé la question en mars 2020 (confinée sans imprimante, j’étais coincée), m’avaient dit : « c’est nous qui fournissons l’autocertificazione« . Ah. En même temps, dès le nom, le paradoxe était souligné « auto-certification », donc auto-attestation : ça n’est pas l’État qui me donne le droit d’aller me promener, je certifie moi-même que j’en ai besoin.

Un compte instagram publie d’ailleurs une collection d’autocertificazioni illustrées et… toutes sont vides.

A compléter…

Loin d’être exhaustif, ce petit précis de vocabulaire pandémique n’est qu’une sélection personnelle des termes qui m’ont marqué. Pas forcément nouveaux, ces mots ont simplement été beaucoup entendus et répétés dernièrement. On pourrait y ajouter les tamponi (les tests), les vaccini, le coprifuoco (le couvre-feu)… la liste serait longue. Un beau projet lancé par le réseau Lo Stato dei Luoghi propose d’ailleurs à chacun d’envoyer un mot qui, pour elle ou lui, résonne différemment depuis la pandémie. De petits textes qui redessinent la définition des baci (les baisers), ou de la pauvreté.

Quels seraient les mots de votre liste ?

Image de couverture : « baisser le masque uniquement pour boire », bar à Venise, juin 2020.

2 thoughts on “Zona rossa, lockdown… un an de vocabulaire pandémique”

  • Encore un bel article toute en finesse, qui donne le sourire (malgré le contexte)!
    Je vais te raconter une anecdote, qui illustre à merveille ces nouveaux mots du quotidien employés en raison de la crise sanitaire.
    J’ai été employé tout l’hiver dans un restaurant d’altitude qui faisait de la vente à emporter. Quand le client commandait une boisson ou à manger, il cherchait tout le temps où se trouvait les pailles et les serviettes. Il y avait donc un présentoir avec pailles et serviettes en libre service… vous me suivez. Tout le monde mettait ces mains dans le présentoir. J’ai fini par dire un jour « c’est pas très Covid tout ça »
    Donc ça y est le mot Covid est devenu un adjectif pour dire « c’est pas très propre » « pas respect des règles » « pas protocole sanitaire »
    Et je l’entends de plus en plus autour de moi pour décrire ce genre de situation.
    Je me dis, en 2021 dans l’édition du petit Robert on aura un nouveau mot!

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