L’autre jour, sur twitter, j’ai remarqué un mot italien que je ne connaissais pas parmi les tendances. Pour ceux et celles qui ne sont pas sur le réseau : ça signifie que le mot en question est particulièrement employé par les utilisateurs, à un moment donné, généralement précédé d’un #. On appelle ça un hashtag. Oui, on est en 2021, et oui, il y en a encore pour qui ça n’est pas clair. C’est ok, moi j’explique. Mais je m’égare.
Ce mot, à l’orthographe peu avenante, c’était #schiscetta. A prononcer ainsi : ski – ché – tta. J’ai cliqué, perplexe. Et là, une avalanche de photos de tupperwares. Remplis. De lasagnes, de boulettes de viande, de salades de riz… Avec également un deuxième hashtag : #smartschiscetta. Prononcer Smart – ski – ché – tta, forcément, suivez un peu.
C’est pas parce que c’est smart que c’est intelligent
Si vous avez lu mon article de l’année dernière sur le vocabulaire pandémique, vous savez déjà qu’en Italie, télétravail se dit smartworking. Samedi 9 octobre, Renato Brunetta, ministre pour l’Administration publique, a déclaré lors d’une conférence que les employé·es de l’administration publique devraient cesser le télétravail à partir du 15 octobre pour la majeure partie d’entre eux, et à partir du 30 octobre pour la totalité des travailleurs et des travailleuses. La fin du télétravail qui devrait par la suite concerner l’ensemble des travailleurs transalpins à partir de la fin de l’année 2021, avec la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Entre autre bénéfices, selon lui, une productivité accrue et des retombées économiques positives pour le secteur de la restauration, grâce à l’effet pause déjeuner. Convaincu, il annonce une reprise en fanfare pour le secteur, tablant sur un revenu de 3,3 à 5 milliards grâce au retour au bureau des salariés, et donc au restau le midi, rapporte le journal Il Fatto Quotidiano. La FIPE (Fédération Italienne des Restaurateurs et Hôteliers – en gros), elle, table plutôt sur 1,4 milliard. Même chose pour le PIB, qui devrait revenir booster en même temps que les travailleurs-consommateurs rempliront l’autoroute pour regagner leurs bureaux.
Touche pas à ma gamelle
Revenons à la #smartschiscetta. Le dictionnaire nous apprend que « schiscetta » est un mot de dialecte désignant la gamelle en fer blanc des ouvriers et des étudiants. La lunch box d’autrefois, en gros. Pour traduire la « smartschiscetta », je propose donc le néologisme de télégamelle.
Suite aux propos du ministre Brunetta, les réactions sur twitter ne se sont pas faites attendre. Qui a dit que les employé·es de bureau mangeaient au restaurant le midi ? Ou même, plus modestement, qu’ils avalent les tramezzini pleins de mayonnaise de la cafet en bas des bureaux ? En Italie, se nourrir, c’est du sérieux. Alors forcément, ils ont dégainé la schischetta.
@bioccolo Pausa pranzo con il buon cibo casalingo.
— Pippi Calzelunghe #IoSonoAntifascista (@PippiCalz) October 15, 2021
In ufficio o in #smartworking
Oggi tutti con la #smartschiscetta pic.twitter.com/LvKKHaP3oa
A coup de tweet revendiquant le contenu de cette gamelle comme un acte de résistance aux propos du ministre. Qu’on les oblige à retourner au bureau, passe encore, mais qu’on ne leur parle pas d’abandonner la bonne cuisine casalinga, comprendre, faite maison. Ben oui, rappelez-vous, le premier confinement et ses ruées en cuisine. On lâche rien !
Toute l’Italie est en smartworking, toute ? Non !
Nous sommes en 2021. Toute l’Italie est en smartworking ? Non ! Si on en croit les chiffres de l’ISTAT, le télétravail n’a jamais vraiment décollé en Italie. Alors qu’on en parlait comme d’une situation dominante, le télétravail n’a concerné en 2020 que 21% des travailleurs italiens, contre 6% avant la pandémie. Pendant ce temps, en France, c’est 47% de la population active qui télétravaillait, contre 21% avant 2020.
Dans cette vidéo, Le Monde s’interroge sur l’efficacité du télétravail dans le monde.
On peut alors douter de l’effet promis du retour au bureau des salariés de l’administration publique sur les restaurants. De plus, le retour au bureau signifie surtout l’obligation de montrer patte blanche, ou plutôt, verte. En Italie, le pass sanitaire, dit greenpass (pourquoi se priver d’un anglicisme de plus) est obligatoire pour se rendre sur son lieu de travail à partir du 15 octobre, dans le public comme dans le privé. Au restaurant, en revanche, le sésame n’est nécessaire que pour manger à l’intérieur, pas en terrasse. L’enjeu du retour in presenza serait peut être plutôt à chercher du côté de l’incitation à la vaccination que constitue le greenpass en Italie. Une incitation très forte, puisque les tests restent payants et que le pass est désormais demandé pour accéder à l’ensemble des lieux de travail, dans le secteur public comme privé.
Mieux respirer grâce au télétravail ?
En soulignant les avantages économiques du retour au bureau, Renato Brunetta oublie malgré tout que les aspects positifs du télétravail sont nombreux, s’il est fait dans de bonnes conditions.
En 2020, suite au premier confinement, 94% des 5.000 télétravailleur·euses interrogés par le site Informazione fiscale déclaraient souhaiter poursuivre leur activité à distance.
Le Nord de l’Italie, où se concentrent la plupart des activités productives du pays, est aussi l’une des zones les plus polluées d’Europe. La faute aux Alpes et aux Apennins, qui enferment la plaine du Pô et empêchent le smog d’être emporté par les vents. Enfin, soyons clairs : la faute aux camions, aux industries polluantes, aux chauffages, et aux déplacements nombreux domicile-bureau, surtout. Bien que les conclusions des études sur les effets du confinement sur la pollution soient complexes car les données et les sources sont nombreuses, il est clair que les émissions dues au transport terrestre et aérien ont diminué.
Quanto salirà oggi il #pil in tangenziale? Fine #smartworking ma con me c’è la fedele schiscetta pic.twitter.com/69DacKEJY2
— movimentoschiscetta (@LImbruttito) October 12, 2021
Ci-dessus, un tweet du compte humoristique « movimento smarschiscetta » (mouvement télégamelle). « De combien grimpera le PIB aujourd’hui sur le périph ? Le smartworking c’est terminé mais j’ai avec moi ma fidèle smartschiscetta »
Conclusion, l’Italie passe à côté d’une occasion de débattre du télétravail de façon approfondie. Estimer que l’absence du bureau nuit à la restauration, c’est négliger les modifications des habitudes de consommation, avec un recours à la livraison important, même en smartworking. Aussi, c’est appauvrir le débat en se concentrant sur la consommation plutôt que de s’interroger réellement sur les bénéfices en terme de bien-être au travail des employé·es et sur leur perte ou leur gain de productivité. On rate encore une occasion de penser les lieux de travail de façon moins rigide : pourquoi le télétravail et le travail au bureau ne pourraient-ils pas s’alterner ? D’autant plus que, comme le souligne le quotidien Domani dans un article du 15 octobre 2021, les effets du télétravail sur l’efficacité de l’administration publique italienne, souvent décriée pour sa lenteur, semblent être positifs et connoter une amélioration de l’efficacité des services rendus aux citoyens.
Merci pour cet article et le lien vers la vidéo du Monde vraiment intéressants ! Le boom de la cuisine a eu lieu en France aussi, mais je ne sais pas s’il se maintiendra autant qu’en Italie… Pour ma part il n’y a pas photo : vive le marché la semaine et la cuisine maison !!
Vous avez deux heures ^^ !
Intéressant cette fin de l’état d’urgence sanitaire et l’obligation d’un retour dans les bureaux. Je reviens de Londres et la-bas la situation n’est pas très optimiste.
J’ai bien aimé cet article ! Je n’avais pas entendu parlé de ce mouvement pro-gamelles en Italie, mais ça me m’étonne pas des italiens ! ^^ Effectivement je pensais que la pandémie aurait permis de révéler les avantages du télétravail et de combattre l’idée reçue selon laquelle les gens ne travaillent pas aussi bien s’ils restent chez eux… mais apparemment la route sera encore longue en Italie ^^
L’Italie, le télétravail, la gamelle et le smog — La caniculaia: la règle du jeu dans le réchauffement climatique, l’Europe.
L’industrie développementale a investi en Italie plus de 200 M€, depuis que le président-directeur des Mines et Engraving Technology (MPET) est sorti sur fond de pression des partenaires concernant les conditions d’exercice et les coûts, dans une entreprise qui est en plein affaire du secteur de construction. Par ailleurs, il est très clair qu’il n’est question que du secteur des mines où elle reste en première intention, en raison du poids historique et du niveau de risque qu’elle domine. Elle ne fait pas le tour des autres segments industriels : aucune grande construction à haute vitesse que ce so…